Il ne s’agit pas d’un biopic et c’est peut-être une mauvaise idée que d’avoir nommé sobrement son film « Neruda ». On pourrait s’imaginer (bien à tort) qu’on va assister à une longue évocation de la vie du poète avec forces passages lyriques. Or « Neruda » n’a rien d’un biopic, le film de Pablo Larrain n’évoque d’une petite partie de la vie de Pablo Neruda, celle qui précéda son exil en Europe pour échapper à la police chilienne mandatée par un pouvoir politique aux ordres de Washington. Larrain choisi de faire de Pablo Neruda un héros de polar, ce n’est presque pas exagéré que de dire cela. Il décrit un Neruda très engagé mais pétri de contradictions, qui s’amuse de la situation comme si elle n’était pas dramatique, il se déguise en curé pour aller au bordel, se grime lorsque les conditions l’exigent, sème des romans policiers à l’intention de son « chasseur », fait parvenir ses écrits jusqu’en Europe au nez et à la barbe des autorités. Bref, il met en scène sa cavale pour mieux servir à la fois ses engagements, mais aussi, il faut bien le reconnaitre, sa mégalomanie. Homme à femme, un peu égocentrique et flamboyant dans ses excès, Neruda est bourré de petits défauts mais semble immédiatement (dés la toute première scène des les toilettes du Sénat) sympathique. Nul doute que l’on pardonne tout aux génies, même quand ils ont en privé une attitude parfois contestable. La relation qui le lie à la peintre Delia Del Carril est emblématique de ce que je viens de dire, il ne la traite pas très bien, il finit même par l’abandonner au Chili alors qu’il s’exile mais elle continue de le défendre, de l’aimer, de le protéger. Le scénario met en scène deux personnages principaux, Neruda (campé par un Luis Gnecco impeccable) et un Oscar Peluchonneau (quel nom étrange pour un policier chilien !) obstiné, manipulé et surement conscient de l’être qui fait de la traque du poète une affaire presque personnelle. C’est un mes acteur chouchou qui incarne Oscar, Gael Garcia Bernal. Et une fois de plus, il fait la preuve de son talent : toujours sobre, toujours juste, attendrissant alors qu’il incarne quand même un flic aux ordres d’un pouvoir quasi dictatorial, Peluchonneau est un « Yin » du « Yang » Neruda, aussi sérieux et austère que Neruda est flamboyant. Jusqu’au bout du bout du Chili et de ses possibilités, il poursuivra Neruda et participera à sa légende. Je ne sais pas du tout si cette traque est véridique, légèrement romancée ou carrément inventée. Mais au fond, ça n’a pas d’importance. Au bout d’un moment, on se dit qu’on est davantage devant un conte que devant une tranche de vie, que c’est le Neruda rêvé de Larrain qui vit à l’écran plutôt que le véritable poète mondialement connu. Je ne vais pas jusqu’à dire que le film donne envie de se plonger dans l’œuvre du poète, parce que les longs poèmes de Neruda ne sont pas forcément la « cup of tea » de tout le monde. Mais on peut être admiratif de l’homme politique (avec toutes les réserves que le stalinisme suppose) et de la flamboyance de ses idées. Une scène m’a paru importante et pertinente, assez courte, lorsque Neruda est interpellé par une militante ouvrière (ivre) dans un restaurant. Elle lui reproche, à demi-mot et de façon un peu maladroite, de vivre confortablement pour un communiste et de lui demander avec une certaine pertinence « Lorsque le Révolution aura lieu, nous serons tous égaux. Mais nous serons égaux comme vous ou comme moi ? », ce qui est une bonne question, quand même… Point de vue réalisation, le film de Pablo Larrain a les mêmes caractéristiques que « No », ce qui confirme que ce réalisateur a une « patte » bien identifiable. Larrain tourne « Neruda » comme un vieux film des années 50, avec des couleurs délavées, une photographie volontairement « vintage », multipliant les plans surexposés, les reflets du soleil sur la caméra, bref… tous ces petits défauts gommés par le cinéma moderne et ultra technologique. Je le soupçonne même, lorsque ses personnages sont en voiture ou à moto, de faire défiler en arrière plan des images comme on faisait dans les films d’Hollywood dans les années 50 ! Larrain, c’est le contrepied total du cinéma hyper léché et hyper produit d’aujourd’hui. C’est un parti pris qui se défend, mais ça reste un parti pris étonnant et un peu déstabilisant quand même pour le spectateur. La musique est assez discrète, la reconstitution plutôt soignée et je reconnais que les dernières scènes, dans la Cordillère des Andes enneigées, sont visuellement magnifiques. Deux petits défauts malgré tout, la voix off de Peluchonneau est omniprésente et cela finit par agacer un tout petit peu. Et puis, son film qui dure 1h50 a quelques trous d’air, quelques petites baisses de rythme. Par moment, malgré tout l’intérêt de ce qui se passe à l’écran, on se prend à décrocher un petit peu et a se dire que cette traque va finir par tourner en rond. Heureusement que les scènes finales, dramatiques et magnifiques, ne laissent pas perdurer cette impression. La fin du film, justement, est un poil onirique, un poil ambigüe sur le destin du policier. Elle ne maquera pas de déstabiliser quelque peu le spectateur, sans que cela ne gâche la bonne impression d’ensemble du film de Pablo Larrain.