Quatre jeunes femmes japonaises. Cinq épisodes. On pense à Shokuzai -évidemment! Sauf que, analyse sur fond de thriller de l'évolution difficile de ces jeunes femmes après un événement atroce de leur enfance, le viol et l'assassinat d'une de leurs compagnes de classe, et réalisé par le grand Kiyoshi Kurosawa.... Shokuzai était un chef d'œuvre. Ici, on en est loin, très loin.... Senses, s'apparente plutôt à un long pensum prétentieux dont le but (assez bien atteint par ailleurs) serait de nous montrer la difficile cohabitation des hommes et des femmes dans le Japon contemporain. Non, Ryusuke Hamaguchi n'est pas Kurosawa. Ni Kenji Mizoguchi comme il le pense, peut être. Non, il ne suffit pas de rouler en seconde pour être un génie. Chez Mizoguchi, quand il ne se passe rien, on est émerveillé. Chez Hamaguchi, quand il ne se passe rien, on s'ennuie ferme.... Et dès le premier acte, qui commence par une scène d'une longueur insupportable, on est dans l'ambiance. Il s'agit d'un "atelier" auquel assistent les amies, entre gêne et ravissement, où on se touche par le front pour former une "boucle", où l'on écoute le ventre de son partenaire, pour arriver à une meilleure connaissance de soi. Bref, charlatanisme de gourou ordinaire mais comme on est encore très intrigué, très en attente, cela ne passe pas trop mal.
Deux parmi ces jeunes femmes sont des amies d'enfance; les deux autres ont rejoint le groupe plus récemment, sous l'influence de la très sociable Jun. Toutes plutôt bourgeoises, elles ont des vies très différentes.
Akari (Sachie Tanaka) est infirmière. Grande gueule, habillée plutôt mode, n'hésitant pas à faire le clown tout comme à agresser un contradicteur, intrusive vis à vis du groupe dont elle exige une sincérité totale, elle n'a en fait jamais assumé son divorce: le fait d'avoir été trompée, puis larguée, et se cherche désespérément un mec. Sakukaro (Hazuki Kikuchi) est presque son contraire. Femme au foyer soumise, elle se dévoue à son mari, tyran domestique mal gracieux, sa belle-mère -une vieille dame plutôt rigolote et de bon sens- et son fils ado, qui a l'air encore d'un grand bébé, ne pas se fier aux apparences. Les sorties avec les copines sont son oxygène.... Pour Fumi (Maiko Mihara) tout semble aller bien. Elle vit avec son mari (dont le côté intello se manifeste par une chevelure jusqu'à la taille...) dans le monde culturel; il est éditeur; elle est dans l'événementiel. Pourtant, elle a souvent l'air triste, comme si elle craignait quelque chose (pour son couple?) Enfin il y a Jun (Rira Kawamura), qui a décidé de demander le divorce [il semble qu'elle n'ait aucune chance de l'obtenir, ce divorce; apparemment, au Japon, si le mari n'est pas consentant, c'est niet.... on pense à Vivian Amsalem, sous d'autres cieux!], parce qu'elle ne supporte plus son chercheur de mari, revendique le droit d'avoir un amant, assume de devoir faire des petits boulots pour subsister, refuse absolument de reprendre la vie commune, et qui malgré tout semble bien plus vivante que les autres..... Jun dont le culot tranquille est pour les autres filles un révélateur. Jun qui les ramène au morne de leurs existences.
Dans ce Japon, on a l'impression que hommes et femmes vivent dans des mondes séparés. Pour les hommes, raides, empesés dans leurs responsabilités professionnelles, engoncés dans leurs certitudes, quasiment castrés, la jeune fille dont ils ont été amoureux n'est plus qu'un meuble dans leur vie. Pour les femmes, l'amitié entre filles est alors quelque chose de fort et d'important....
Dans ce Kobe coince entre mer et montagne verdoyante, noyée sous la végétation (mais où sont les boeufs?), il semble que la politesse traditionnelle soit éternelle.... On ne cesse de se saluer avec courbettes, de se remercier avec courbettes, de s'excuser avec courbettes..... Aligatô par ci, alligatô par là.... Ce qui culmine avec une scène quasiment surréaliste. La famille d'un jeune sacripant vient s'excuser avec forces courbettes, en kimono traditionnel, une enveloppe bourrée de billets à la main, chez les parents d'une ado enceinte, et contrainte d'avorter. Ce côté ethnologique là est évidemment amusant pour nous autres européens. Si du moins il est vrai. Si le réalisateur n'a pas forcé le trait pour épater un public occidental. Car, grands admiratrice de Kawase et de Koré-Eda, et par ce biais familière avec le Japon contemporain, je n'y retrouve pas autant de cérémoniel....