Le film de Justine Triet, assez court (à peine 1h35) ne manque pas de qualités ni d’intérêt. Tout d’abord, je le trouve très maîtrisé dans sa forme par une réalisatrice qui a visiblement soigné son travail. Les plans sont travaillés, notamment les plans très larges, centaines scènes sont muettes, parfois avec une voix « off » qui vient l’illustrer de manière indirecte (le deuxième verdict). Et surtout, j’ai remarqué une utilisation intéressante de la musique dans les scènes dramatiques. Plus Victoria va mal, plus la musique est omniprésente, forte et vive, comme pour créer une sorte de décalage : pas violons mais du clavecin, énergique, rapide, comme pour symboliser la vie qui passe vite, les évènements qui s’enchainent et qui laissent la pauvre avocate dépressive sur le bord de la route. Virginie Efira porte sur ses jolies épaules un film qui n’est pas une comédie et un rôle difficile qui lui permet de montrer toute la palette de ce qu’elle est capable de donner à l’écran. Disons-le tout net, elle crève l’écran de sa présence et elle arrive, en quelques scènes, en quelques répliques, à poser son personnage borderline et à crée une immédiate empathie envers elle. Tour à tour (et parfois même en même temps) forte et fragile, drôle et désespérée, Efira trouve dans « Victoria » son rôle le plus aboutit et prouve que cette actrice absolument épatante a définitivement pris son envol vers une très belle carrière. A ses côtés, peu de rôles féminins car Victoria est surtout entourée d’hommes et des hommes dont elle est, à une exception près, la victime. Elle est victime de son ex mari incarné par Laurent Poitrenaux et surtout de son ami (toxique) qui est interprété par Melvil Poupaud. Son rôle à lui est intéressant et il l’incarne parfaitement. Ce type, accusé d’avoir poignardé sa compagne, est l’incarnation presque parfaite du pervers narcissique, on ne sait pas s’il est coupable ou innocent, il alterne les passages où il apparait comme une victime parfaite avec des passages où il semble manipuler son monde avec un cynisme mal dissimulé, il le reconnait même à un moment puisqu’il parle d’améliorer son « personnage ». Et quand je le qualifie de « toxique », c’est qu’il pousse son amie Victoria à assurer sa défense sans se soucier des (graves) problèmes que cela va lui occasionner à elle. Egoïste et manipulateur, il fait bien peu de cas de celle dont il prétend être l’ami. C’est l’incarnation de ce que j’appelle « les amis à sens unique », les « amis » qui se servent de vous quand ils vont mal et se soucient assez peu de l’inverse. Victoria est une femme moderne, elle est jolie, elle est avocate et tout devrait lui sourire. Or, tout semble systématiquement foirer dans sa vie, elle n’est entouré que de gens qui se servent d’elle : son ex se sert de leur vie passé pour écrire un blog littéraire (la mettant dans une situation professionnelle intenable : quand on a un ex comme ça on n’a pas besoin d’ennemis ! ), son ami l’utilise sans beaucoup de scrupules, ses amants de passage ne la respectent pas vraiment et la seule personne qui ne l’utilise pas, ne pompe pas son énergie, ne s’essuie pas les pieds sur sa vie, il est là juste à côté et elle ne le voit pas vraiment, un grand classique ! C’est Vincent Lacoste qui incarne Samuel l’ « ex » dealer, à la fois assistant juridique, nounou, infirmier et confident. J’ai toujours un peu de mal avec cet acteur (malgré « Hippocrate »), j’ai toujours un peu d e mal à le voir autrement qu’en adolescent mal dégrossi. Mais dans « Victoria », il est convaincant je le reconnais. Ce que je peux reprocher au scénario de Justine Triet, c’est qu’il est difficile de saisir exactement où elle veut en venir. Elle dépeint une tranche de la vie de cette jeune femme bien mal entourée, elle nous offre une galerie de personnage assez bien croqués (peut-être un tout petit peu excessifs, chacun dans leur genre) mais au final, le message de son film est peu lisible. Si elle a voulu prouver que parfois le bonheur peut prendre des formes inattendues et qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour voir qu’il est là, juste à côté, c’est un peu léger et d’autres l’ont fait avant elle ! Si elle a voulu casser le mythe de la femme moderne en démontrant qu’en France, en 2016, même les femmes qui semblent avoir tout pour elles peuvent encore se retrouver broyées par la société patriarcale, là encore elle n’est pas très claire. Si elle a cherché à dépeindre une certaine forme de solitude au milieu de la multitude (l’ultra-moderne solitude de Souchon), elle n’a pas aboutit sa démonstration. En fait, à l’image de son héroïne, le film se cherche de façon quasi-permanente, alternant le drame et la comédie, il tâtonne, il explore des voies sans issues, bref, « Victoria » est un film un peu étrange qui va peut-être laisser quelques spectateurs sur le bord de la route. Mais il se laisse suivre sans déplaisir et sans ennui, et la vraie empathie ressentie pour son héroïne, parfaitement bien incarnée par une Virginie Efira magnifique, fait que malgré ses défauts, « Victoria » est un bon film, bien plus profond et complexe que l’affiche et la bande annonce ne pouvaient le laisser supposer.