https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/05/25/le-mepris-critique/
« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Le mépris est l’histoire de ce monde. » Puis un plan où entre autres… les fesses de Camille, donc celles de Brigitte Bardot… Et clairement on a du mal à regarder les yeux de Paul pourtant dans le champ eux aussi. Et BB de demander un peu à Paul et beaucoup à nous :
« -Et mes chevilles, tu les aime ?
-Oui.
-Tu les aimes mes genoux aussi ?
-Oui j’aime beaucoup tes genoux.
-Et mes cuisses ? Tu vois mon derrière dans la glace ?
-Oui
-Tu les trouves jolies mes fesses ?
–Oui très… « (Écoute, Brigitte, pour être honnête nous aussi…)
« Et mes épaules ??? «
Le mépris, c’est le corps, c’est clair. Mais l’esprit aussi. La question est posée à un moment, qui a créé l’autre ? Dieu ou l’homme ? C’est surtout le terrible déclin d’un couple, la déchéance dans le regard de l’autre. Le mépris, c’est dans le regard. Ici, il va se distiller comme un poison dans les pensées de Camille. Les questions de Camille à Paul sur l’appréciation qu’il peut faire de son corps expriment le doute de la jeune femme. Les réponses lapidaires de Paul viennent confirmer que celui-ci s’installe dans d’autres préoccupations, financières, professionnelles, artistiques. S’aimer soi pour aimer l’autre, principe vieux comme le monde de Socrate en passant tout récemment par Justine Triet dans Anatomie d’une chute (2023), qui démontre l’universalité et l’intemporalité de cette équation parfois insoluble. Tellement universel qu’il est difficile de ne pas y voir ce que Godard aura lui-même vécu avec l’actrice Anna Karina.
C’est aussi toute la dichotomie entre l’art et le financier, entre création et production. Un regard acerbe du réalisateur sur la mort du couple en symétrie de ce qu’il nous dit de la mort de l’art cinématographique. Et bien sûr la bouleversante et enivrante musique de Georges Delerue, qui à chaque note semble signifier la dramaturgie du déclin amoureux dans ces phases les plus tranchantes. Elle nous plonge dans une profonde mélancolie et vient réveiller en nous le désespoir de nos amours perdus. Magnifiquement triste.
Évidemment, la présence de Brigitte Bardot met en feu la caméra de Godard. Une rencontre finalement pas si atypique ou paradoxale, car le cinéaste fut un des rares à ne pas avoir moqué l’icône. Il y a le corps de Brigitte Bardot bien sûr, que comme une mise en abime de l’histoire contée dans Le mépris, les producteurs américains du film voulaient impérativement voire dénudée. Mais il existe surtout sa présence iconique, sa voix, son magnétisme fou qui contribuent à la légende du film. Bardot, dans Le mépris, c’est la femme. Bardot, c’est cette rencontre avec Godard, Bardot c’est un mythe. Michel Piccoli dans le rôle de Paul est saisissant de vérité dans sa forme de nonchalance et son caractère désabusé et comme impuissant et déjà vaincu par la mort de l’amour. Une sorte de flegme face à tous ses paradoxes, où il lie sa création artistique à son union avec Camille. Son duo avec Bardot est légendaire.
Le mépris, œuvre tragique, dans le panthéon du cinéma hexagonal et international n’a en réalité pas pris une ride et bouleversera toujours autant les amoureux de l’amour et ceux du cinéma, à savoir nous tous.