David F. Sandberg a ceci de sympathique qu'il est débarqué dans le paysage du cinéma horrifique en moderne sans prévenir et plutôt discrètement, avec ce petit film qui préfigure déjà quelques thèmes récurrents de sa carrière, que l'on retrouvera dans ses deux oeuvres suivantes, l'efficace Annabelle 2 : La Création du mal et le délirant mais casse-gueule Shazam!. A la base un court-métrage d'une durée équivalente à trois minutes, Lights out promettait beaucoup avec un concept fantastique : le mal s'y manifeste seulement dans les zones d'ombre, abyssales, où la lumière ne fait plus sa loi.
C'était une idée intéressante qui demandait beaucoup de pistes de réflexion différentes; questionnement sur la nature de ce qui nous fait peur, sur l'obligation d'utiliser la nuit pour terrifier, et la possibilité de jouer artistiquement avec le cliché de la lumière crépitante, détail visiblement obligatoire pour poser une ambiance des films d'épouvante des années post 2000. En cela efficace qu'il gèrera plutôt bien tout ça durant sa scène d'introduction, Dans le noir se perd en fil de route dans la facilité des jumpscares à répétition, présentant des effets horrifiques simplistes loin de prédire la réussite de sa réalisation prochaine, celle qui le fit briller sur la première suite d'Annabelle.
En cédant aux facilitées amenées par un budget plus conséquent, il perd le côté fait à la main de son court-métrage, brillant parce qu'il jouait astucieusement sur les zones d'ombre sans ajouter de véritable post-prod derrière, et qu'il ne se réfugiait pas derrière ses artifices sonores pour palier au manque d'inventivité de ses visuels. On y retrouve quelques plans bien composés ou diablement efficaces, mais la globalité de l'oeuvre tend à laisser penser que si Sandberg gérait très bien sa séquence de son court de trois minutes, il n'en va pas de même avec une oeuvre qui dure une heure vingt (format d'ailleurs étonnement compact).
Surtout lorsqu'il tente d'expliquer le démon de son film version remake de The Ring par Gore Verbinski; rationaliser l'horreur la rend en l'occurrence bien moins intéressante, du fait que le mystère, élément majeur de son court qui ne donnait aucune explication sur son origine, devenu caduc laisse au spectateur le temps d'analyser tout ce qui cloche dans le reste de l'écriture, de ses personnages aux comportements stupides à leur développement psychologique qui respecte tous les clichés trouvables dans les films d'esprits présentant des protagonistes idiots.
Certes attachants du fait de leur caractérisation proche de la mauvaise série b horrifique de la fin des années 90 (voire début 2000), ils ne sont quand même pas suffisamment fouillés pour qu'on craigne quelque chose pour eux; pire même, on prévoit leur destin à tous, et l'on n'est pas forcément surpris de suivre une fin peu marquante de sacrifice bourrée d'effets spéciaux en 3D pas trop mal fichus, mais qui comme pour Ca : Chapitre 2 viennent atténuer le côté réaliste de l'horreur.
Trop abuser sur la CGI revient à révéler directement au spectateur qu'il est en train de suivre un film autour d'esprits composés à l'information; l'immersion ayant du mal à persister, on termine comme pour le second volet de la duologie de Muschietti à suivre un film fantastique qui ne fait finalement pas vraiment peur, encore que Lights out soit plus efficace dans son genre que la comédie fantastique tirée du bouquin de King. N'est pas Mama qui veut (du même Muschietti; amusant, non?).
C'est d'autant plus regrettable que son format court favorisait l'immersion du spectateur : présenté en une introduction efficace qui posait avec un certain talent tout le concept du film (d'une durée inférieure à cinq minutes), le choc de ses débuts s'est rapidement éteint lorsqu'il fallait suivre l'arrivée des deux personnages principaux, couple ridicule et forcé pour faire différent des films habituels qui récoltera difficilement de l'empathie de la part du public. L'héroïne en aura sans problème; il sera difficile de penser de même pour son compagnon non officiel/officiel (drôle de relation, vous disais-je).
L'on retiendra, à côté de cela, une scène principale qui adapte bien le concept de base : en référence à la poupée dans le motel du Dead Silence de son mentor James Wan, Sandberg joue ici sur des néons extérieurs qui s'éteignent et se rallument par intermittence, offrant d'une part une jolie photographie polychrome, et d'autre part un sacré moment de tension bien géré par son montage efficace, bien qu'un poil charcuté par moments.
Et si l'on sent la patte de Wan, on se rendra compte de l'influence de Conjuring dans la façon que Sandberg a, à de rares reprises, de jouer sur la (non) venue de certains jumpscares : à l'image de ce personnage qui éteint plus de cinq fois la lumière en se demandant ce qui se trouve dans le noir, il fait traîner en longueur et de manière astucieuse cette séquence, détruisant l'effet attendu au bout du troisième éclairage, et le balançant si tardivement qu'on est finalement surpris. Il aurait pu, d'un autre côté, s'écrouler du côté des pétards mouillés s'il l'avait fait tenir à une ou deux reprises de plus.
Sympathique sans trop développer son concept, Dans le noir aura le mérite de présenter pour la première fois les thèmes chers à son réalisateur : l'enfance orpheline en proie au mal adulte qui n'entretient que très peu de contacts avec la figure parentale restante/de substitution, et l'élévation de l'enfant au stade d'adulte par le biais du devenir héroïque. C'est un peu, en y repensant, une version américanisée quelque peu aseptisée de l'autre référence des enfants en milieu d'horreur fantastique, Guillermo Del Toro.
Et s'il n'a pas commencé de manière aussi fructueuse, nul doute que David F. Sandberg nous concocte quelques autres petites surprises agréables pour les années à venir. Sans être un grand réalisateur, il a au moins le mérite et l'honnêteté de reconnaître qu'il s'inspire des grands en leur rendant hommage, et de brasser des thématiques personnelles dans un cinéma grand public régit par des studios qui le laissent décider de la conduite à tenir. Dans le noir, Annabelle 2 comme Shazam!, même combat : l'enfance désabusée qui s'érige contre les démons de l'adulte désespéré.
Sandberg un auteur... Qui l'eût cru?