Suburra : pour le dire anachroniquement, c’était un “arrondissement” de la Rome antique, la “banlieue” de la vieille ville. En italien, c’est resté un nom commun pour un lieu interlope où sévissent le crime & la corruption. Mais loin des millénaires que le terme a traversés, le film se concentre au contraire sur les derniers jours avant l’Apocalypse, qui est une métaphore de la renonciation du pape (quoique réalisé deux ans après la vraie, il la place deux ans avant), ou bien de ses causes.
Dans cette semaine de Déluge où Rome connaît toutes sortes d’orages (littéraux ou politiques) qui mèneront inéluctablement à sa chute comme dans les temps anciens, on est donc prévenus : le meurtre & la manipulation seront de la partie, constituant une ambiance étouffante & , c’est le cas de le dire : infernale. La douce Apocalypse un peu dan-brownesque dans laquelle nous précipite sans hâte la musique ambient de M83 – très bien utilisée, & c’est quelqu’un qui est fan du groupe qui vous le dit – met les exactions sur une échelle bien plus haute que celle, facile, de la vengeance, vers laquelle on se dirige avec le sentiment de baigner dans une catharsis qui dure, qui dure, qui dure même depuis l’introduction.
Cette félicité hors “d’attente”, cet espoir qui surplombe un climat où les Hommes font les uns aux autres ce qu’il y a de pire, cela donne l’impression de quelque chose de grand mais de simplement contemplatif qui ne demanderait qu’à jouer un rôle. Les métaphores dantesques & diluviennes ne sont pas un hasard : ce quelque chose, c’est la religion.
Si plusieurs intrigues se mêlent mieux qu’un quidam dans la foule (mafia, petits crimes politiques etc.), la religion est totalement détachée, détaillée par le réalisateur avec calme, comme exaspérée d’être l’épicentre des péchés qui ravagent la ville millénaire. Elle vit son histoire à part, neutre & pacifique, & le pape tourne le dos (comme à la caméra) aux horreurs que Rome traverse – de même que la partie de notre esprit de spectateur la plus frustrée de ne pas avoir de quoi se divertir.
Plus que jamais évocatrice d’elle-même en tant que racines aux valeurs qui la traversent, la ville porte pour qui veut les voir tous les péchés : la luxure & l’orgueil viennent en premier, mais c’est un florilège que le scénario, très brut, violent & d’apparence hardcore, amène subtilement derrière les flous intrusifs coiffant les protagonistes d’une sorte d’anti-auréole.
Il m’a été difficile toutefois de voir l’absence de salut comme une partie de ce que je défends dans Suburra ; il y a trop de corps inertes, trop de souffrance ; l’Apocalypse devient trop matérielle alors qu’elle n’est pas concrète – & ne devrait pas l’être. Même si l’on connaît la destination, on aimerait la sentir s’approcher, cependant Sollima ne dépassera pas l’élégance de ses compositions les plus dures pour nous donner foi en elle.
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