Comment parler cinématographiquement d’un tableau de maître ? En 2011, Lech Majewski avait imaginé de faire déambuler Bruegel en 3D dans l’une de ses toiles. La démarche du plasticien Andy Guérif est autre. Il a patiemment reconstitué chacun des vingt-six panneaux de la Maestà, un polyptyque réalisé au début du Trecento pour la cathédrale de Sienne. Ce travail de fourmi lui a pris sept ans, à Angers, avec une poignée d’amis et un budget dérisoire.
Le résultat est un plan fixe qui englobe tout le polyptyque. Chaque panneau s’anime successivement dans un coin de l’écran, décrivant une étape de la Passion du Christ depuis l’entrée à Jérusalem jusqu’aux compagnons d’Emmaüs. Dans chaque cartouche on voit les personnages s’installer, puis se figer quelques secondes dans la position précise qui était la leur dans le tableau, avant de s’animer à nouveau et de se diriger vers le cartouche suivant.
Le procédé est totalement artificiel et parfaitement naturel. Sans doute crée-t-il à la longue une lassante répétition, d’autant que l’histoire est connue et son dénouement sans surprise. Mais ce film hors norme a l’intelligence de ne pas dépasser soixante minutes et de s’arrêter avant que la curiosité qu’il suscite ne disparaisse.
Le film est astucieux, intéressant et amusant par ses trouvailles. Du point de vue de l'innovation, c'est certainement une réussite : on y trouve à la fois du théâtre, un montage très filmique, un rythme à la fois surveillé et léger ; pas d'agressivité, mais pas de piété sirupeuse non plus. Bref : un vrai spectacle - qui bien sûr incite à regarder la Maestà de Duccio d'une autre façon, d'ailleurs plus vivante et plus aimable que la salle sombre et sacralisée où l'original est comme embaumé !
Le film de Andy Guérif pose une question qui me paraît centrale : comment regarde-t-on la peinture par rapport au cinéma ?
Or, le cinéaste a fait le choix dans son film de conserver la vue globale du tableau au détriment d’une dynamique de sélection des détails. Il en résulte que le spectateur se sent rapidement frustré et emprisonné dans un cadre fixe.
Si l'utilisation occasionnelle de gros plans sonores nous offrent un instant la possibilité de rentrer dans la scène, on regrette que le réalisateur n’ait pas vu dans cette peinture un sujet de cinéma.