S’il est difficile de contester l’immense et protéiforme talent de Clint Eastwood (réalisateur, compositeur, producteur, et naturellement, par ailleurs, acteur), on peut aussi constater que ce film est profondément malhonnête. Tous les Eastwood présentent un thème obsessionnel : l’homme seul contre la société, le pouvoir, la force, le combat du pot de terre contre le pot de fer. Et c’est ce que nous aimons dans ses films : la revanche de celui qui, seul, par la force de sa conviction, de sa droiture, renverse le cours des choses : la justice. Sauf que ce n’est pas du tout la philosophie d’Eastwood : pour lui, le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent, c’est celui de l’individu contre le collectif, du citoyen oppressé par l’État : ce qui l’intéresse n’est pas la justice, c’est l’individualisme, c’est une conception libertarienne du monde (bien sûr, c’est son droit… et c’est aussi le nôtre de ne pas le suivre sur ce terrain, mais le problème n’est pas là). Dans les westerns, dans la pure fiction, nous marchons comme un seul homme, emportés par l’humanité de ses antihéros. Ici, sur un seul point de vue cinématographique, nous marchons aussi : la patte du Maître est bien là, et Tom Hanks y trouve son meilleur rôle, plus vrai que le vrai Sully. Mais oui : le film est profondément malhonnête. Pour nous resservir son obsession du citoyen se libérant de l’État oppresseur, Eastwood a trahi sa source, à savoir le livre de « Sully » et les faits : le déroulement de l’enquête du NTSB. Et de cela, il n’avait pas le droit. Il présente les enquêteurs comme des inquisiteurs dont le seul objectif est de mettre en accusation le héros du « miracle sur l’Hudson » et de le casser, tout ceci pour l’enjeu du coût de l’avion pour l’assurance. Le NTSB a vivement contesté cette présentation. Mais surtout « Sully » lui-même a été assez choqué par ce travestissement de la vérité pour demander que les noms des enquêteurs soient modifiés [cf. « Sully (film) » dans Wikipédia].