Ce film avait tout pour me faire envie : une bande annonce bien fichue, une jolie affiche, des critiques plutôt élogieuses et un casting assez alléchant. Et je dois avouer que, même si le film souffre de quelques petits défauts, il fonctionne malgré tout très bien et pose un certain nombre de questions assez pertinentes. Déjà, sa construction est intéressante : le film commence par le milieu (la mort de Joseph, je peux l’écrire ici sans rien risquer de déflorer quoi que ce soit puisque c’est la première scène du film), puis les deux tiers du film raconte l’avant et les dix dernière minutes, l’après. On sait d’emblée que les choses vont dégénérer, le suspens n’est pas là. En fait, la grande majorité du film tant à montrer deux choses : d’une part que Joseph, de part son attitude de plus en plus agressive (ses hormones le travaillent, comme tous les adolescents) est dans une sorte de fuite en avant qui ne pouvait que mal finir. D’autre part, le film brouille les pistes de telle manière que tout le village ou presque peut avoir commis l’irréparable. De ce point de vue, le scénario est assez habile pour distiller une ambiance délétère, souvent irrespirable, et pas seulement à cause de la chaleur… La réalisation aide beaucoup à poser cette ambiance, avec les idées tout bêtes mais intelligentes
comme la scène où l’artisan Rodolphe (formidable Gregory Guadebois) entends la musique techno de la voiturette de Joseph passer sur la route : Joseph vient d’être interné d’office, il devrait être en HP or il est là. Pas besoin de montrer la voiture, la musique techno et le visage de Rodolphe suffisent à cette scène
. Le casting est excellent, Gregory Guadebois campe un artisan taiseux financièrement aux abois, Jean-Pierre Daroussin un maire mesuré plein de bonne volonté mais dépassé par le problème et incapable de contenir la colère qui enfle chez ses administrés, Carole Franck est convaincante en agricultrice courageuse mais que la sécheresse rends agressive. Mais c’est surtout la performance étonnante de Karim Leklou qui retient l’attention. Dans un rôle probablement bien plus difficile qu’on le croit à incarner (pas évident d’incarner la maladie mentale sans devenir une caricature), il donne corps à un Joseph à la fois attachant et angoissant, qu’on a envie de rassurer mais il nous met tellement mal à l’aise quasiment dans chaque scène qu’en tant que spectateur, on en vient à… Je ne sais pas comment le dire… à souhaiter qu’il disparaisse. C’est assez horrible de ressentir cela devant un adolescent qui, à une exception, ne fait rien de vraiment répréhensible, mais cela prouve que le film fonctionne et que Karim Leklou n’y est pas pour rien. Quant au dénouement du film, il va peut-être décevoir les amateurs de polars compliqués par sa banalité, l’interrogatoire de police qui amène au coupable est d’une rapidité et d’une facilité qu’on ne voit pas souvent au cinéma. Mais peut-être est-ce comme cela dans la vraie vie, je ne sais pas… Mais à bien y réfléchir, c’est une fin réussie dans le sens où elle est parfaitement crédible, du point de vue de la psychologie humaine. Celui (ou celle, je ne dévoile rien) qui a tué l’a fait dans un contexte malheureusement tout à fait crédible. De par son sujet et la façon dont il le traite, le film de Raphaël Jacoulot pose des questions pertinentes sur le seuil de tolérance d’un petit groupe (ici un village où tout le monde se connait et se côtoie) envers les gens différents (les ferrailleurs sont un peu gitans, ce qui évidemment n’arrange rien), envers les marginaux qui s’affranchissent des règles sociales dont les autres s’accommodent, et en poussant le raisonnement à l’extrême, envers la maladie mentale. On sent bien que ce seuil de tolérance s’amenuise à vue d’œil alors que Joseph est l’un des leurs, qu’il est né là et qu’ils le connaissent depuis toujours. Il ne s’agit pas là de rejeter un inconnu ou un étranger mais de focaliser sur l’un des leurs, différent, toute leur rancœur, toute leur colère, toutes leurs frustrations. C’est assez flippant quand on y pense, cette tendance humaine à rejeter hors de la société les gens qui ne rentrent pas pile-poil dans le moule. C’est le personnage de Daniel qui incarne parfaitement cette lente dérive : le maire, impuissant à modérer la situation, démissionne dans tous les sens du terme pour finalement plus ou moins se joindre à la vindicte populaire. Le film de Jacoulot pourra sembler inabouti à ceux qui imaginait un coupable plus difficile à démasquer, à ceux qui espérait une dénonciation plus franche de cette sorte de « justice expéditive », qui auraient aimé qu’on décortique peut-être un peu plus le pourquoi du comment on en est arrivé là (la police le libère rapidement, les plaintes sont classées sans suite, l’HP le laisse sortir au bout de quelques jours). C’est sur que le film de Jacoulot fait quelques impasses, semble faire la part belle à un peu de démagogie (Ah ! Le laxisme supposé de la justice !) et semble parfois se perdre dans des scènes un peu superflues ou qui tirent un peu trop sur la corde. Et puis l’analogie entre la pluie tant attendue et la mort de Joseph est assez dérangeante et un peu « facile ». Mais il y a un vrai questionnement de société derrière « Coup de chaud », en plus d’une performance d’acteur tout à fait intéressante et d’un scénario qui tient la route dans son ensemble.