Tout le monde a en mémoire la célèbre saillie de Clouzot, par ailleurs infiniment simpliste et discutable: «Pour faire un film, premièrement, une bonne histoire, deuxièmement, une bonne histoire, troisièmement, une bonne histoire». C'est une telle vision des choses qui lui vaudra d'être l'une des cibles favorites des cinéastes de la Nouvelle Vague. Il faut cependant reconnaître qu'il fut, au moins dans ses premiers films, un très brillant illustrateur de cette conception narrative classique du cinéma, conception certes réductrice mais légitime dans ses limites propres. À cet égard, «Le corbeau» (1943) demeure aujourd'hui comme l'une des plus remarquables réussites du cinéma français. Avec une noirceur absolue qui donne la nausée, Clouzot le misanthrope y dépeint, sous les traits d'un véritable cloaque, une petite ville de la France rurale. Pour le réalisateur, l'âme humaine, même celle des enfants, est de toute évidence sale, veule et sournoise et peu de place est faite à la lumière. Mais tout cela ne serait rien d'abord sans une mise en scène, certes classique, mais de très grande classe, et qui distille un suspense tout à fait étonnant, ensuite sans le jeu tout à fait remarquable des acteurs (Pierre Larquey et Pierre Fresnay au dessus de tout éloge), enfin sans une photographie magnifique d'où procèdent de très belles images trahissant une influence évidente de l'expressionnisme allemand. On rappellera deux séquences d'anthologie. D'abord le plan superbe où Marie Corbin, apeurée et fuyant son lynchage, se regarde dans un miroir brisé. Ensuite la célèbre scène de la lampe et qui justifie à elle seule qu'on se souvienne de ce film. Un ouvrage finement ciselé à découvrir ou à redécouvrir.