L’univers de Frédéric Beigbeder est presque un genre à lui tout seul, avec ses codes (les fêtes, l’alcool, la coke, les putes, la culture…), ses qualités surprenantes (dont un humour politiquement incorrect) et ses défauts attendus (sa lourdeur et son autocritique artificielle). Dandy parisien cynique et drôle (ou bobo dans toute sa splendeur, c’est selon), Beigbeder rebute autant qu’il amuse... et je dois avouer que son autodérision me le rend plutôt sympathique. J’ai, également, apprécié son premier film "L’amour dure trois ans" (déjà adapté d’un de ses romans) et j’attendais de voir ce que pouvait donner cette suite non-officielle du "99 Fr. " assez barré de Jan Kounen, avec un traitement plus "abordable". Malheureusement, si "L’Idéal" est, effectivement, plus "facile d’accès" que son prédécesseur, il réussit l’exploit de transformer cette qualité en défaut majeur… et ne peut s’empêcher de décevoir considérablement ! Car, et c’est le premier défaut du film, la mise en scène manque singulièrement de caractère, Beigbeder tentant pas mal de choses (la voix-off, le quatrième mur régulièrement brisé, un trip en grand huit dans une villa russe… ) mais s’effrayant visiblement du moindre jusqu’au-boutisme ou, plus généralement, de la moindre cohérence de ton. En ressort un film forcément brouillon dans sa forme… mais, également, dans son scénario. On se demande encore ce qu'a voulu dire Beigbeder, avec ce brûlot contre l’Oréal (que seuls les plus ignorants n’auront pas reconnu derrière "L’Idéal"), si ce n’est une avalanche d’évidences sur les coulisses peu reluisantes des recherches de mannequins, les rêves brisés des jeunes filles de l’Est parties chercher la fortune en France ou encore sur l’immoralité de l’industrie du luxe. Le point de vue de l’intrigue ne brille pas forcément pas sa clarté et, pire que tout, le dernier quart de l’intrigue sombre dans un grand n’importe quoi qui oscille entre la leçon de morale démago
(avec, entre autres choses, l’intervention hallucinante des Femen !)
et le contresens le plus total
(voir le changement radical des deux héros)
! Que Beigbeder crache dans la soupe, ce n’est pas vraiment une surprise… mais il ne l’avait pas encore fait avec un tel manque de subtilité. C’est, d’ailleurs, le défaut majeur du film : il est d’une incroyable lourdeur… ce qui est un comble pour un réalisateur qui, sans être forcément délicat, a su montrer une certaine plus-value "littéraire" dans ses œuvres mais aussi dans son précédent film. Ici, il surligne (et sur-explique) la majeure partie de ses dialogues et de ses gags, il en fait des tonnes avec des scènes qui méritaient d’être allégées, il laisse libre cours à ses fantasmes
(le héros entouré d’un harem de bombes sexuelles, la drogue sniffée par montagne, la working girl névrosée qui vire lesbienne…)
sans le recul nécessaire, il force le trait sans pour autant adopter un ton cartoonesque, il fait dans l’auto-placement de produit (via le plan sur le magazine Lui dontil est le rédac’ chef) avec un premier degré effarant, il trahit l’essence des personnages qu’il a lui-même brossé… Et c’est vraiment dommage parce que, avec un peu plus de travail, il y avait matière à faire une excellente satire. Quelle peine, d’ailleurs, de voir, l’excellent Gaspar Proust reprendre le rôle de l’alter-ego de Beigbeder (ce qu’il avait déjà fait dans "L’amour dure trois ans") et s’en sortir, une fois de plus, assez bien… pour se transformer subitement, et sans explication valable, en
papa poule épris de maison de campagne
! Idem pour Audrey Fleurot dont le personnage, plein de promesses, est trop rapidement flinguée par
une prise de conscience des plus contradictoires
. Le seul à sortir vraiment du lot, c’est Jonathan Lambert qui campe la big boss de L’Oréal Carine Wang, avec une évidence troublante et un décalage forcément savoureux. "L’Idéal" peut, également, se targuer d’un certain nombre de scènes réussies et même amusantes
(les excuses publiques de l’égérie de l’Idéal qui virent à la catastrophe notamment)
, mais, une fois encore, elles semblent avoir été jetées, ici et là, sans souci de construction scénaristique. Une déception, donc…