Que retient-on de "Jackie" quelques jours après l'avoir vu ? D'abord, l'osmose puissante entre la caméra de Larraín et le visage de Natalie Portman, qui joue magistralement une femme elle-même occupée à jouer un rôle : le titre est à cet égard trompeur puisque Jackie se définit avant tout par le nom de son époux, y compris après sa mort. Quand celle-ci intervient, l’héroïne songe instantanément aux autres présidents assassinés, Lincoln en tête. Les funérailles de JFK devront être aussi mémorables, un siècle après, que celles de l'homme qui a aboli l'esclavage, et elle, sa veuve, s'obstine à vouloir marcher à côté du cercueil durant la procession. Pourquoi ? Parce qu'elle "fait son travail", celui d'une (ex-) première dame qui sait que les caméras, à l'instar des livres, peuvent faire l'Histoire. Mais les images filmées n'expriment pas forcément la vérité, en témoignent les scènes de la visite de la Maison Blanche, où les apparentes images d'archives ne sont qu'un tour de force technique et illusionniste. Jackie veut et doit tout contrôler pour décider quelle image renvoyer (les séquences d'interview sont particulièrement éloquentes concernant cet aspect) : Kennedy est digne de Camelot, avec tout ce que cela suppose d’héroïsme chevaleresque mais Camelot est aussi le nom d'une comédie musicale kitsch de l'époque ; chaque élément est polysémique. Le personnage principal semble lui si insaisissable que, pour tenter de saisir une part de sa nature profonde, Larraín filme son actrice sous toutes les coutures, dans un montage kaléidoscopique qui fait s'entrechoquer les temporalités, donnant ainsi au film un rythme étrange, parfois étourdissant, en particulier dans un dernier tiers qui nous happe tout en nous poussant à nous questionner sur le vrai sens à donner à cette histoire. Porté par la bande-son à la fois solennelle et dissonante de Mica Levi, "Jackie" est une oeuvre aussi sensorielle que réflexive grâce à sa complexité formelle et sa richesse thématique, provoquant l'immersion du spectateur tout en le maintenant à distance de cet objet singulier.