Oyez, oyez, oyez ! La société de production Escobar Films (sic !) vous convie à un distrayant « best of » des frasques pittoresques, ubuesques, du plus truculent des narco-criminels : Pablo Escobar (1949-1993). Un être bestial, impitoyable, sanguinaire, mais en qui vous verrez aussi un personnage théâtral, haut en couleur, un trublion que rien n’arrête, que rien n’effraie, un hurluberlu mégalomane à la férocité candide, un voyou-roi usant ingénument et prodigalement de ses ressources maléfiques (l’argent sale, la violence) pour obtenir le « respect » de ses congénères, un psychopathe ayant la fibre paternelle (la famille avant tout !) et qui s’enorgueillit d’être le suzerain paternaliste (« Don Pablo », « El Patrón ») des laissés-pour-compte et des déshérités de Colombie, le « Robin Wood » de Medellín… Il y a de quoi séduire et divertir le spectateur ! Mais il y a quand même un problème. En effet, un film comme « Escobar » nous sert en continu de l’ironie diffuse, avec des clins d’œil nihilistes au potentiel comique des situations, alors que pour être saine, digne et constructive, la mobilisation du rire aurait dû emprunter la voie plus engagée de la satire et de l’humour noir. Javier Bardem a beau jouer très bien, on lui fait incarner un Escobar qui a des airs de monstre facétieux et de sinistre pince-sans-rire, comme si nous étions censés rire « avec lui » de ses audaces de criminel cynique, de ses extravagances de hors-la-loi iconoclaste, ou de ses surenchères dans la pratique de la terreur et de la cruauté. De façon plus générale, le ton du film, donné par la voix off – celle de Virginia Vallejo, maîtresse d’Escobar, interprétée par P. Cruz –, est celui d’une légère ironie qui fait d’emblée appel à la complicité du spectateur. Il en résulte quelque chose de très américain, une sorte de dérision latente qui tient au fait que le film traite comme naturels les faits de transgression et de violence, tout en les concentrant artificiellement dans des séquences narratives accélérées, ou en utilisant l’ellipse temporelle pour engendrer de cocasses juxtapositions : par exemple, le car de prostituées quittant le « Club de Medellín » au moment même où la petite famille du chef arrive en voiture pour le déjeuner dominical. On peut y voir, entre autres, une filiation stylistique avec un film comme « Les Affranchis » de Scorcese… Enfin, n’est-il pas navrant de voir que le tropisme américain d’une production comme « Escobar » traduit aussi et avant tout une stratégie de vente ? Comment ne pas regretter qu’un film espagnol, où les acteurs (eux-mêmes hispanophones) incarnent des personnages hispanophones, ait été tourné en anglais ?