Le texan Jeff Nichols revient en 2016 avec Loving, drame romantique adapté de la mésaventure bien réelle du couple Loving dans la Virginie des années 50 et 60. Lorsqu’un homme blanc épouse une femme noire, dans l’état voisin, et que la justice locale ségrégationniste s’en mêle en condamnant les époux et futur parents à l’exode ou à la l’emprisonnement, il y a donc matière, en surfant sur cette vague filmique rédemptrice, semble-t-il, pour les américains, à en faire un long métrage on ne peut plus sérieux. Juridiquement intéressant, quand bien même Nichols préférant faire la part belle à la romance, Loving se découvre tel un pur produit de l’académisme hollywoodien, un réquisitoire de bonnes mœurs, la vitrine d’une nation qui met en scène les erreurs de son passé pour expier ses torts. Soyons francs, si le cinéaste tant prometteur nous avait éblouis avec ses remarquable Take Shelter et Mud, notamment, il peine ici à livrer un film à la mesure de son indépendance créative.
Habilement filmé, soigneuse reconstitution d’une époque révolue, magnifiquement interprété par le tandem Joel Edgerton et Ruth Negga, la seconde étant très touchante, entre autres, le film manque pourtant d’impact au vu de la filmographie de son metteur en scène. Dans les mains d’un inconditionnel du biopic dramatique, le film aurait semblé aussi efficace qu’il peut l’être. Dans les mains de Jeff Nichols, tout ça semble cruellement lisse, voire anodin. S’agissant exclusivement de mon strict point de vue, Loving ayant enchanté la Croisette et une bonne partie de la presse spécialisée, la magie des précédents longs-métrages du réalisateur, leurs grains de folie douce, leurs audaces respectives, manquent à l’appel. Dès lors, le cinéaste de génie, espoir qu’une nouvelle génération de cinéastes puisse enfin réellement prendre le pas sur leurs aïeux, se transforme momentanément en simple faiseur d’académisme. Dommageable, sur le fond, certes, mais cela n’enlève rien à la qualité de son travail.
Loving, en effet, est un film appliqué, sentimentalement touchant. Il est par ailleurs, sans doute, un film nécessaire pour ce sud rural qui pense encore et toujours les plaies d’une époque peu reluisante, manière, comme dit plus haut, d’expier ses péchés sociaux. Remarqué à Cannes, il m’a d’ailleurs paru étrange que Loving n’ait pas été sélectionné aux Oscars. Mais cela importe peu. Un bon film, oui, mais un film dans la lignée d’une mouvance une peu pompeuse dont le modèle n’a pas fini de faire de petits. J’espère donc que le brave Jeff Nichols retrouvera de son inspiration pour la suite de sa carrière, sans pour autant qu’il s’agisse là d’un faux pas. 12/20