Depuis le début de sa carrière, Jeff Nichols aime comprendre comment et pourquoi les familles dysfonctionnent. Ses films, même ses films de science-fiction (‘Midnight special’), même ses films en décors naturels (‘Mud’, son meilleur) privilégient l’exploration de l’intimité du foyer et de l’intériorité des personnages, guettant leurs doutes, leurs failles et leur fêlures. Chez les Loving, au nom curieusement prédestiné, ce n’est pas le couple qui déraille mais la société tout autour d’eux. Il est blanc, elle est noire : mariés en 1958 à Washington, le couple retourne s’installer en Virginie...où ils sont immédiatement jetés en prison, les mariages mixtes étant alors interdits dans cet état du sud. Libérés à condition de quitter leur ville natale et de ne jamais reparaître ensemble sur le territoire de l’état, les Loving n’ont d’autre choix que d’obtempérer. Cette situation ubuesque va attirer l’attention du public américain, du magazine Life et des avocats de l’Union américaine pour les libertés civiles. Bien que de facture très traditionnelle et parfaitement à sa place en ces années où les productions militantes sur la question raciale sont nombreuses, ‘Loving’ n’emprunte pourtant jamais la voie du Film de prétoire, même si toute la seconde partie se déroule à l’ombre des procédures menant à la Cour Suprême. Pas de Happy end flamboyant (même si l’affaire Loving mit finalement un terme à toutes les lois du même genre et conduisit à l’établissement du mariage en tant que loi naturelle), pas de plaidoiries enflammées, pas de célébration ronflante des valeurs américaines qui, si elles cultivent le racisme, cultivent aussi les moyens de le contrer et de le vaincre. Non, ce sont les Loving qui intéressent avant tout Nichols, pas la grande cause dont ils furent les détonateurs involontaires. Elle, frêle, timide mais déterminée à aller jusqu’au bout ; lui, taciturne, protecteur mais très mal à l’aise devant l’ampleur prise par la situation. Des gens simples qui, alors que leur situation remonte en haut lieu, continuent à vivre leur vie, à élever leurs enfants et à cohabiter avec ceux qui soutiennent leur choix et avec ceux qui le réprouvent. En normalisant intégralement ses personnages et la situation qu’ils traversent, Nichols renforce d’autant plus l’absurdité anachronique d’une loi qui prétendait se mêler de ce qui se passait dans les chambres à coucher. Plutôt que de découvrir la Grande Histoire à travers la petite, le réalisateur a posé le choix inverse : compte tenu du conformisme mêlé de la volonté d’extraire les émotions du spectateur au forceps qui prévaut souvent dans ce genre de productions, c’est assez rafraîchissant.