N'est-ce pas un moment opportun pour sortir des films sur la ségrégation raciale aux Etats-Unis pendant les années 1950 et les années 1960 ? Bien sûr que si. L'élection de Donald Trump et le contexte américain actuel offrent à ces films l'occasion de briller un peu plus. Et lorsque ceux-ci sont bien traités et ne desservent pas le cinéma, on se prend à croire et à espérer qu'ils laisseront une empreinte un peu plus marquée dans l'Histoire. Si Loving n'est pas un chef-d'oeuvre, il ne reste pas moins touchant et humain, c'est un beau film, ce qui ne nous surprend pas étant donné que Jeff Nichols, malgré une sous-estimation notoire à Hollywood, était à la réalisation de ce long-métrage qui aurait bien pu passer inaperçu auprès du grand public et qui ne devrait malheureusement pas rencontrer foule en France au cinéma où il est prévu le 15 février prochain (comme la monstruosité Alibi.com qui saura amasser les jeunes dans les salles, les navets étant sans doute les seuls à faire exister le cinéma dans son sens le plus économique et non dans son sens le plus artistique).
Autant le dire tout de suite, le film est réellement porté par ses deux acteurs principaux, Ruth Negga (nommée aux Oscars) et Joel Edgerton, en état de grâce. C'est un atout important mais qui peut se transformer en défaut lorsque le duo de protagonistes a trop de responsabilités. C'est l'un des petits reproches que l'on pourra faire à Loving: sa gestion des personnages secondaires, notamment celui de Michael Shannon, qui a joué dans tous les films de Jeff Nichols. Celui-ci joue Grey Villet, un journaliste de Life Magazine, mais il est finalement cantonné à un (très) petit rôle. Au final, on nous fait croire que sa présence a une raison mais lorsque le couple Loving devient très médiatisé, les moments intimistes que Villet a pu passer avec lui perdent toute leur portée et leur importance et décrédibilise le personnage de Shannon à qui nous n'enlèverons pas la qualité de l'interprétation. Et l'intimité pourtant, Nichols la maîtrise parfaitement, au point de savoir apporter une touche particulièrement sensible au moment de filmer les scènes entre Richard et Mildred Loving, personnages magnifiés par les performances touchantes de Negga et Edgerton. Autre satisfaction, les scènes de voiture. Rien à voir ? Et pourtant, déjà dans Midnight Special, Nichols avait eu le don d'installer une ambiance haletante sur de simples séquences de voitures qui n'avaient au départ aucun intérêt purement scénaristique à part ne pas nous perdre par des ellipses trop grandes. Encore une fois, le réalisateur sait utiliser toutes les pièces d'une automobile pour leur donner corps en présence des personnages, qu'ils soient assis sur la banquette arrière ou qu'ils soient en train de regarder dans le rétroviseur. On n'ose même pas imaginer ce qu'aurait été un Drive réalisé par Jeff Nichols. Au lieu de ça, on se contentera également des merveilleuses scènes de Midnight Special, le tout accompagné de la sobre et remarquable musique du fidèle compositeur de Nichols, David Wingo, qui a compris qu'il n'était pas là pour faire hurler les violons ni écraser les touches d'un clavier lorsque cela était inutile. Et lorsque la musique s'intègre comme elle se doit au film, le résultat est brillant pour nos oreilles.
Lorsque l'on a vu le film, on peut comprendre le double sens du titre, Loving. Il désigne bien sûr les époux Loving mais au-delà, il renvoie à l'amour, thème fondamental du film car il semble bien motiver tous les choix des personnages, pas seulement l'amour entre Richard et Mildred mais aussi entre les parents et leurs enfants: c'est un déterminisme à lui tout seul. Le scénario finit ainsi avec une habileté déconcertante par transformer cette fable intimiste entre les deux protagonistes en une ode à la famille. Et le bonheur n'intervient pas parce que la famille existe mais parce que la famille coexiste avec un environnement propice à l'épanouissement et la liberté de tous les personnages. L'amour n'a pas de frontière, c'est le message du film et il n'est pas caché. Il est là, se développe sous nos yeux pendant deux heures et rend hommage au combat plus qu'honorable des époux Loving mais aussi de l'ACLU pour obtenir l'arrêt Loving v. Virginia qui juge anticonstitutionnelle toute loi qui restreindrait le droit au mariage sur la base de la couleur de peau des mariés. Et lorsque l'on sait que l'ACLU est aujourd'hui en plein combat face au programme jugé raciste de Donald Trump, ce film ne peut que faire écho.
Après quatre ans d'absence, Jeff Nichols réalise un retour remarqué avec ses deux réussites Midnight Special et donc Loving. A 38 ans, le réalisateur américain ne cesse de monter. Mais au-delà de son talent derrière la caméra, c'est l'écrivain qui devient de plus en plus intéressant. Et dans Loving, il est très appréciable de voir que Nichols a les pieds sur terre, sachant se souvenir du début de son récit pour mieux le faire résonner (voire même raisonner) avec sa fin, preuve d'une belle maîtrise narrative qui sait revenir sur ses pas pour trouver la meilleure façon avec laquelle elle saura avancer et transmettre son message.