Figure centrale du régime nazi, Reinhard Heydrich fut chef de la Gestapo et gouverneur de Bohème avant d’être assassiné en 1942 durant une opération montée par la résistance tchèque. Même si ce personnage n’a que peu de rapport avec la situation en France, en Belgique ou aux Etats-unis au cours de la Seconde guerre mondiale, un tel film ne sort pourtant pas de nulle part : il se base sur le roman de Laurent Binet, Prix Goncourt du Premier Roman 2010, et son titre étrange, du surnom dont Heydrich avait écopé au sein de la SS, acronyme de “Himmler Hirn heist Heydrich� (“le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich�), ce qui en dit long sur l’influence du personnage et la crainte qu’il suscitait. L’auteur, en toute modestie, voyait bien Steven Spielberg ou Brian de Palma adapter son livre au cinéma : il lui aura fallu se contenter de Cédric Jimenez, semi néophyte connu pour une poignée de polars corrects...mais le résultat n’a pas à rougir de la comparaison, dans le domaine technique en tout cas, avec le cinéma américain. Malgré l’ampleur des moyens déployés et le tournage en langue anglaise afin que le film trouve son public sur la scène internationale, ‘HHhH’ s’est solidement ramassé au box-office. Evidemment, il ne parle pas du D-Day, de la bataille des Ardennes, du pont de Remagen ou d’un quelconque fait d’armes déjà gravé dans la pellicule et l’inconscient collectif par Hollywood. D’autre part, j’ai l’impression que le grand-public ne s’intéresse plus aujourd’hui à la Seconde Guerre Mondiale que pour ce qui a trait à la mémoire de l’Holocauste ou à la vie quotidienne sous l’occupation. Avec la disparition progressive des témoins de première main, batailles, opérations secrètes et personnalités historiques ne semblent plus intéresser que ceux qui se passionnent pour cette période de l’histoire, à fortiori quand elle se déroule dans les zones peu identifiables du Front de l’Est et qu’on n’y trouve pas la démesure et le décalage post-moderne d’un ‘Fury’ ou d’un ‘Inglorious basterds’. D’autres critiques adressées au film me semblent plus injustes : il est ainsi reproché à Jimenez d’avoir fait preuve d’une recherche visuelle coupable : effectivement, dans l’ensemble, le réalisateur fait preuve d’une curieuse virtuosité visuelle, use et abuse des ralentis et d’une bande sonore déchirante : quelques scènes particulièrement dures (comme l’action des Einsatzgruppen en Pologne) qui, j’imagine, auraient du être traitées par le respect et la retenue, croulent ainsi sous le pathos et le mélodrame. Ce constat n’est pas complètement faux...mais en toute franchise, il n’y a pas là de quoi clouer le film au pilori : les postures, la manipulation émotionnelle et la tendance à tout souligner plutôt deux fois qu’une sont la marque de fabrique de la majeure partie des films historiques, dès lors qu’ils envisagent de s’adresser un public international : pour une fois qu’un réalisateur français ne semble pas croire que le statut de “production historique�et la gravité des faits évoqués l’obligent à livrer un truc aussi moche qu’un documentaire de chaîne de télévision publique, on ne va quand même pas s’en plaindre ! Que son film soit rentré dans ses frais ou pas, Jimenez s’est en tout cas payé son ticket d’accès vers Hollywood car la mise en scène de cette opération Anthropoid, ses prémices, son déroulement, sa conclusion tragique pour les membres du commando, obéissent intégralement aux règles de qualité et de découpage narratif du cinéma d’action américain. Revers de la médaille, durant la première moitié du film, on sent tout autant l’intention d’explorer en profondeur la personnalité méthodique et sans affect de Reinhard Heydrich que le manque d’obstination pour mener cette opération à son terme. Dans un certain sens, ça aussi, c’est très américain...