Un film très réussi, alors que le défi paraissait insensé. Il s’agissait d’adapter non pas un des grands romans du célèbre écrivain , comme le cultissime « Voyage au bout de la nuit » ou « Mort à crédit » , tâche à laquelle s’étaient attelés un grand nombre de réalisateurs et des plus grands, depuis plusieurs décennies , sans jamais y parvenir, mais de créer de toute pièce un film à partir d’une période peu connue de la vie de LF Céline, réfugié au Danemark, qui était à ce jour seulement identifié et commenté par les Céliniens historiques , purs et durs. La force de Bourdieu et de Marcia Romano est d’avoir écrit un scénario passionnant à partir de ce « non évènement »,et d’en avoir fait un film de cinéma , "vrai" , passionnant et captivant. Tout y est : du suspens, des rebondissements, une intrigue sans temps mort, une réalisation impeccable avec des prises de vues très soignées, des cadrages au cordeau, avec des contre champ très étudiés à couper le souffle, une belle technique cinématographique, de l’humour ( la scène de la danse Yidish qui tourne à l’amer est un must ), et même quelques scènes « sensuelles » grâce à la très belle Géraldine Pailhas ,qui nous gratifie d’un superbe bain à la vapeur scandinave, en version naturiste . On vit la peur, l’angoisse de l’artiste, sa mégalomanie aussi. Les dialogues adaptés , soit des écrits de Céline , soit du livre témoignage de Hindus, sont bien sûr excellents, mais surtout bien sélectionnés, un sans faute. Le sujet et le fonds du film est intemporel et dépasse le sujet Céline. Peut –on dissocier l’œuvre d’un artiste de sa vie privée, de son comportement ? Cette question s’est posé de maintes fois, avec JJ Rousseau et son contrat social, qui abandonne ses enfants, avec Voltaire, avec des chanteurs ou peintres célèbres, humanistes en public, mais autoritaires dans leur vie privée . Milton Hindus, est un jeune professeur d’université, rationaliste, intellectuel, raisonné, analytique, et aussi juif. Il veut rencontrer l’écrivain qu’il adore pour comprendre l’ensemble de ses écrits, même les plus contestés, celui-ci s’étant réfugié au Danemark après la libération . Mais Céline est tout son contraire : irrationnel, impulsif, poétique, excessif, caricatural, ses prises de position ne sont pas des raisonnements, mais des impulsions. Le film nous montre comment une approche initiale favorable va se dégrader, parce que l’homme n’est pas « à la hauteur » de son œuvre aux yeux de l'américain. Bourdieu respecte scrupuleusement la séquence de la rencontre historique. Il garde une position bien balancée, tout en occultant rien. Il ne nous demande pas de jugement, mais nous montre juste la réalité de ce qui s’est passé et probablement le désarroi de Hindus et de LFC, face à cet échec. . Les acteurs sont formidables. Denis Lavant nous gratifie d’une composition exceptionnelle, habité par le personnage de LFC .On retrouve le sublime acteur des deux chef d’œuvre de Carax ,« Mauvais Sang » et « Amants du pont neuf » ( on l’avait revu avec plaisir cette année dans le très joli film des frères Larrieu, "21 nuits Pattie" ). Pailhas est formidable et amène toute la classe nécessaire au personnage de Lili : tempérée, mesurée et muse de LFC. Desmeules est impeccable et crédible en Hindus . La musique originale de Grégoire Hetzel est parfaite, envoutante et accompagne parfaitement le récit . Pas besoin donc de connaître ou d’aimer Céline, car l’œuvre de Bourdieu se suffit en elle même, comme une belle œuvre cinématographique, profonde,sobre , intense et sincère. .