Avant le film, on se dit qu'on va voir le portrait d'une diva du journalisme, un grand reporter qui a traversé tous les évènements marquants, interviewé toutes les grandes figures de la 2ème moitié du 20ème siècle. On s'attend donc à quelque chose à la fois d'intime et d'universel avec, pourquoi pas, si ce n'est pas trop demander, une évocation de l'Histoire de l'humanité sur cette période (guerres, dictatures, mouvements d'émancipation, etc...) et une réflexion sur le métier de journaliste et sur ses évolutions. Après le film, la désillusion est totale. On a l'impression d'avoir assisté au biopic de Claire Chazal scénarisé par la rédaction de Closer et filmé par un Youtuber nonagénaire. Ce n'est pas la première fois que le "personnage" d'Oriana Fallaci est abordé au cinéma, on l'avait vu récemment dans "L'Homme du Peuple" de Wajda consacré à Lech Walesa. Et le fait est que, malgré son rôle de faire-valoir très secondaire, j'ai eu l'impression de plus en apprendre sur elle dans ce film que dans la bouse italienne qui lui est totalement dédiée. Etonnant, non ? "Oriana Fallaci" est un bon gros ratage, à tous les étages. Bien souvent le film flirte avec le ridicule au point de tomber franchement dedans à plusieurs reprises. Employer la même actrice (Vittoria Puccini, à éventuellement sauver du naufrage, et encore !) pour jouer Oriana à 30, 40, 50 et 75 ans, pourquoi pas mais faites un effort sur le maquillage et les accessoires, quoi ! Si toutes les femmes de 75/80 ans ressemblaient à celle qu'on voit dans le film, il y a fort à parier que la gérontophilie gagnerait pas mal d'adeptes. "Oriana Fallaci" accumule aussi tout un lot de choix scénaristiques désastreux. Le choix des langues utilisées par exemple. En Grèce, tout le monde parle italien, même les Grecs entre eux. Bon. Pourquoi pas. Mais alors, si on veut être logique, pourquoi tout le monde parle-t-il anglais au Vietnam ? Ou plutôt, pourquoi tous les personnages, qu'ils soient américains, vietnamiens ou français sont-ils (très mal) doublés en anglais alors qu'on voit très bien sur leurs lèvres qu'ils parlent tous (assez mal) italien, même les Vietcongs qui sont censés être des paysans analphabètes et qui n'ont pas la moindre petite pointe d'accent asiatique ? Le Vietnam, c'est le gros point faible du film niveau reconstitution, celui qui ferait franchement rigoler s'il n'était pas aussi pathétique : images d'archives insérées n'importe comment dans une scène de bataille filmée de très près dans ce qui semble être une forêt sicilienne où on a rajouté 2/3 palmiers pour faire jungle, aérodrome désaffecté et désert qu'on fait passer pour une base de l'armée US, étonnante sous-représentation des soldats noirs américains (1 sur 50 environ mais, sans doute pour compenser, c'est lui qui a le plus de dialogue !), personnages vietnamiens probablement castés dans tout ce que Rome possède de restaurants chinois... avec comme cerise sur le gâteau cette hallucinante ballade romantique sur le Mékong façon "gondoles à Venise". La guerre du Vietnam, si j'en parle autant, c'est parce qu'elle occupe la majeure partie du film, avec la Grèce des Colonels. Là encore, choix scénaristique. Pourquoi ces deux périodes, me direz-vous ? Importance des évènements dans la compréhension du monde moderne ? Importance du travail d'Oriana ? Scoops ? Enquêtes passionnantes ? Que nenni, juste deux périodes marquantes dans la vie sentimentale de l'héroïne. C'est nul mais le pire, c'est que ça aurait pu être intéressant si le film s'était donné la peine de creuser un peu. Oriana ayant été la maîtresse du leader d'opposition (de Résistance, même) Panagoulis, on aurait pu alors par exemple se demander si quelqu'un qui écrit l'Histoire peut déontologiquement être intimement lié avec quelqu'un qui fait l'Histoire, réfléchir sur l'objectivité du journalisme, sur l'engagement, sur plein d'autres choses... Non, on préfère s'attarder sur une romance aquatique, une grossesse non aboutie, un flagrant délit d'adultère. Lamentable, passons. Passons aussi rapidement sur le procédé ultra convenu de la jeune candide, étudiante en journalisme, qui sert de porte d'entrée pour le spectateur vers la vie d'Oriana. Pas original et pas excitant du tout vu la transparence et la niaiserie du personnage. Restent les thèmes abordés. On pouvait s'attendre, sinon à un film féministe, au moins à un film qui traite du féminisme. Las, on ne dépasse jamais la déclaration d'intention de la jeune Oriana à la fin des années 50 ("Je veux faire le tour du monde pour parler des femmes"). Pire, les auteurs ne sont pas très clairs -pas clairs du tout, même- quand ils évoquent (assez lourdement) la question de concilier maternité et vie professionnelle. Quoi qu'il en soit, on n'a pas franchement l'impression d'entendre un discours très progressiste. Autre détail gênant, la charge anti-Islam, d'une finesse qui n'est pas sans rappeler celle de la charge anti-communiste d'un film comme "Les Bérets Verts", par exemple. Trois fois dans le film (un reportage au Pakistan en 1961, l'interview de Khomeiny en 1979, les attentats du 11 Septembre avec moult violons larmoyants sur fond d'images d'actualités), on nous assène que l'Islam, c'est vraiment pas chouette, surtout pour les femmes (ce qui nous ramène grossièrement au thème du féminisme, la belle affaire !) Voilà, "Oriana Falluci" c'est tout ça : une reconstitution ridicule, un pathos gênant, des propos douteux. Toute une vie, 50 ans d'Histoire et de journalisme par le petit bout de la lorgnette, à faire passer "Forrest Gump" pour un modèle d'objectivité historique. Pitoyable et à la limite du malhonnête.