MaTrique Reloaded
J’ai longtemps assimilé une grande partie des divertissements contemporains à un arrêt dans une chaîne de fast-food. Certes, chaque chaîne a sa spécialité et chaque personne sa préférence, mais face à cette popularité de la restauration rapide, tous se rejoignent sur une structure similaire pour garantir le maximum d’efficacité : des produits identiques, calibrés pour être consommés en un temps record. Mais vient le moment où l’accumulation de ces venues dans ces lieux grand et gros public en devient presque mécanique, transformant chaque burger avalé en une prévisible et insipide dégustation de clous rouillés. Y venir au final avec le seul objectif de se sustenter sans y prendre un plaisir de fin gourmet.
C’est alors que le messie Kingsman est arrivé, comme si Alain Ducasse avait culbuté Ronald Macdonald après une soirée cordon bleu bien arrosée: une sorte de menu triple Maxi Best Of avec « tranche de bœuf en étages » et double portion de frites. Pourtant, fondamentalement, la recette n’a pas changé, mais la revisite formelle en est d’une jouissance quasi absolue. Kingsman avait ainsi l’ambition de renouveler un genre par sa maîtrise de la démesure. Et pour finir dans les annales, une seule devise était de mise : déchaîner la violence quand se consomme la passion du divertissement.
Sa suite n’en a certes pas la fraîcheur mais ne perd aucunement de sa saveur, loin de là, s’apparentant davantage à un Happy Meal sans son jouet surprise (d’autant plus dommage lorsqu’était prévu, cette semaine là, deux places pour le concert de Lynyrd Skynyrd dans une église du Midwest). Aucun problème, Matthew a pensé à tout en remplaçant la pincée de sel par une bonne dose de cocaïne.
Car Kingsman 2 : The Golden Circle s’inscrit avant tout dans un chaos jouissif de déséquilibre rythmique (sûrement à cause de ses 1h20 amputées au montage). Là où le premier opus bénéficiait d’un parfait accord entre classe british et action survoltée, ce second volet n’existe qu’à travers son excès. Un excès qui se révèle parfois contre-productif, dans la mesure où il est difficile de mettre en avant une scène en particulier ; ce qui pose également la problématique de la durée de vie d’une œuvre dans notre (in)conscience cinéphile. Toute réminiscence serait alors liée à cette gestion du rythme. Et sans cette harmonie nécessaire, Kingsman 2 en est réduit à un enchaînement désordonné de séquences orgastiques mais non homériques.
Et pourtant, rares sont les films qui nous font ressortir avec une telle énergie. Spy Spy Land diront certains. D’une telle inventivité et ambition que chaque plan porte en lui le sceau d’une gaieté à outrance. Toujours à la recherche de la singularité, Matthew Vaughn concentre l’ensemble de ses artifices de réalisation sur un too much poussant la coolitude à la frontière de la cohérence. Mais au diable la crédibilité lorsque chaque minute porte l’enthousiasme à un niveau rarement atteint. De cette fluidité visuelle et de ces plans prodigieusement mobiles, tout converge vers des séquences habilement chorégraphiées pour le plus grand plaisir de notre rétine : la violence s’en trouve même désamorcée par l’élégance stylistique de l’œuvre au point de transformer une boucherie humaine en un cynique ingrédient d’insolence.
Car la générosité de Vaughn n’a d’égale que la démesure de l’œuvre. Et dans cet amas d’opulence, chaque scène en serait sublimée d’allusions barbares presque angéliques. Un paradoxe faisant finalement la réussite même de l’œuvre, dans la mesure où la légèreté s’équilibre avec la bestialité. Ainsi, au détour de burgers pas très vegan, le seul sourire de Julianne Moore suffira à égayer votre journée et à vous donner l’envie de chantonner le générique d’Happy Days dans un diner des années 50. L’occasion également de voir s’y glisser une critique de l’impérialisme américain ne serait-ce qu’à travers l’introduction de l’agence Statesman au récit, s’imposant comme le supérieur des Kingsmans, image à peine cachée des relations internationales contemporaines. Et puis, impossible de ne pas remarquer l’halo autour de ce président américain, tout en mimiques, disproportion et exubérance, dont les mesures extrêmes et l’idiotie du raisonnement ne sont pas si éloignés d’une certaine réalité.
Kingsman deuxième du nom s’impose ainsi comme l’homologue hollywoodien d’ OSS 117 : Rio ne répond plus, là où la comédie d’espionnage grossit les traits sur un ton parodique pour mieux détourner les codes d’un genre en un rire subtil. Même s’il est difficile de parler de subtilité dans ce second opus, l’humour y est intensifié par le rythme effréné que prend l’intrigue. Et même si celle-ci est calquée sur la structure du premier et que l’ensemble s’accompagne d’une légère « américanisation » du récit, ses personnages (parfois sous-exploités) n’en demeurent pas moins attachants et bougrement endiablés. Ne serait-ce que pour cet Elton John, hilarant au possible ou cette Julianne Moore en psychopathe nostalgique, même s’il est difficile d’oublier la personnalité si singulière du Valentine transcendé par Samuel L. Jackson.
Des regrets, j'en ai eu quelques uns. Mais une fois encore, trop peu pour en faire état. Regret de ne pas retrouver ce style crooner qui aurait pu donner un véritable cachet à l’œuvre sur des hits de Sinatra et consorts. L’ambiance musicale apparaît en effet bien terne vis-à-vis de l’opus précédent, mais restent des séquences où la musique permet de décupler les sensations et les émotions : de la délectation d’une mêlée explosive rythmée sur le Saturday Night’s Alright For Fighting de Elton John, au serrement de cœur d’un au revoir sur du John Denver, la bande son participe elle aussi à cette « classe nostalgique » flottant sur l’œuvre. D’autant plus que le fan-service conséquent contribue, dans la même continuité, à faire de Kingsman 2 un spectacle référencé où s’affrontent gigantisme et désinvolture.
Sans pour autant être mémorable, Kingsman : The Golden Circle est un costume taillé sur (dé)mesure pour le plaisir d’un sourire. Comme pour s’inscrire dans la continuité d’un Baby Driver, tout est mis au service d’une utopique fabrique à divertissement : des chiens mignons, des blagues salaces, des lassos électriques, des papillons imaginaires, que demander de plus ? Préférant les intrigues improbables doublées de maîtrise esthétique à la soupe contemporaine dénuée d’audace, Matthew Vaughn supprime la satire pondérée pour n’en délivrer qu’une farce de dérision ubuesque. Et au milieu de toute cette fantasmagorie, le spectateur exulte des rayons d’euphorie. Comme un feu d’artifice de démesure qui ne cesserait jamais de nous éblouir.
I’m Still Standing… and I’m Lovin It