Ah Xavier ton dernier bébé donne lieu à de sacrées empoignades et à des tas d’avis controversés ! Bah ce n’est pas la fin du monde c’est juste peut-être la fin de l’état de grâce pour toi, tombé très tôt dans la marmite du cinéma . . .
Alors quoi ? Ai-je été dolanisé, ai-je trop de mansuétude et de tolérance envers ton inventivité parfois un peu démesurée ? Les Dieux du septième art m’ ont-ils jeté un sort pour taire mes frustrations par rapport à tes images parfois un peu maladroites mais chargées d’émotion ?
Que nenni ! Dès la première scène du départ du héros Louis combinée aux préparatifs du repas pour le recevoir, j’ ai plongé à pieds joints dans ton atmosphère semi déjantée. Atmosphère ! Atmosphère ! C’ est le maître mot de tes créations, ne cherchez pas une histoire alambiquée avec des rebondissements improbables, Dolan n ‘est pas client. Dolan lui, c’est un metteur en scène de vie, il vous pousse dans le dos à rentrer à toutes forces dans son film, alors soit vous vous offusquez et reculez, soit vous mettez le pied à l’ intérieur et après vous êtes pris, vous êtes conquis. Vous ne savez à quelle sauce dolanaise vous allez être mangé, si vous n’ êtes pas un tant soi peu accoutumé, vous pouvez trouver le plat bien indigeste. Pour moi, Xavier Dolan un peu comme Hitchcock dans un autre registre fait toujours un peu le même film. Il ne vous prend pas en surprise, vous bombarde de très gros plans comme d’ habitude , ce qui donne l’ illusion parfaite si vous en avez un peu envie d’assister vraiment à la scène, d’ être présent au cœur de l’action, de faire partie intégrale de cette famille hors du commun. Comme dans Mommy, Dolan appuie peut-être un peu lourdement sur les effets ( flashbacks psychédéliques sirupeux) mais on aime ou on n’ aime pas mais on ne peut douter du talent particulier. La lumière du film est épatante jouant sans arrêt entre les couleurs froides et chaudes, parallèle permanent entre la vie et la mort, la douceur et la violence, l’ amour ou la haine . . . Que dire des acteurs ? Je reviens sur le grand Alfred qui affirmait qu’ ils n’ étaient que du bétail. Par certains côtés, c’est vrai car le vrai tireur de ficelles c’ est le réalisateur lui-même. Et dans ce film ? Xavier Dolan met littéralement ses acteurs complètement à nu pour leur faire ressortir la substantifique moelle : il les titille à la limite pour en tirer le meilleur. Cela donne un Vincent Cassel prodigieux qui fait même son Cassel de service en jouant la gamme de la folie sur le bout des doigts. Tous les acteurs du film sont au bord du génie même si le rôle de Cotillard en épouse coincée ne la met pas en lumière comme les autres. Gaspard Ulliel a un rôle très difficile à jouer mais s’en tire aussi très bien dans l’ensemble car il doit plus contempler les autres que s’ exprimer durant tout le film. Alors mise en scène OK, acteurs OK, ambiance OK que penser du reste ? Les dialogues ( quand les gens parlent ) tiennent largement la route, les interventions de Cassel sont savoureuses de mauvaise foi. Mais le nec plus ultra, c’est les structures de la société que Dolan malmène et dézingue à tout va ! La famille ? Quelle famille ? Souvent un refuge pour les plus faibles, elle est montrée ici comme le royaume des faux-semblants, le théâtre permanent de conflits plus ou moins larvés, un ramassis de personnes plus ou moins individualistes sans aucune cohésion. Ou est passé l’amour réconfortant, l’ empathie, le soutien que l’ on peut avoir auprès de proches ? Dolan nous pose à nouveau avec brio l’équation de base sartrienne : jamais L’ ENFER C’EST LES AUTRES n’a été plus vrai dans cette œuvre ! Dolan condamne définitivement ce qui est censé être un des piliers les plus sûrs de nos sociétés occidentales. Autre cible de Xavier Dolan : un des moteurs les plus importants de la société actuelle : la communication ! Catastrophe, personne ne communique vraiment dans ce film, ce ne sont que des monologues enchaînés ou quand cela communique un peu, il n’ y a que des invectives ou des flots d’ injures à gogo. On est dans le siècle de la communication et pourtant elle est totalement déficiente, les égocentrismes effrénés prenant largement le pas sur l ‘envie de connaître et de découvrir l’autre. Le héros lui-même , face à ce déferlement de paroles incontrôlées, se tait définitivement. On pourrait parler aussi des nombreux clins d’oeils au temps qui passe et à la mort présents et savamment distillés dans le film. Et aussi qu’est-ce que la folie ? Elle est omniprésente dans le film, où commence-t-elle ? Où s’ arrête-t-elle ? Dolan nous reprécise avec force que la frontière entre équilibre et aliénation est très ténue, un peu comme dans la société actuelle tout cela est très fragile et difficilement mesurable ( voir les derniers événements)
Mais ce n’est pas un film ennuyeux comme je l’ai vu écrire ou encore moins du théâtre filmé : a-t-on jamais filmé du théâtre comme ça ? Ridicule ! Alors, oui ce n’est pas forcément un film facile, il est terriblement pessimiste , ne donne aucune illusion sur l’ humanité et pourfend les valeurs traditionnelles au bulldozer. C’est un très bon travail de Xavier Dolan, j’ai envie de dire avec certes des défauts et quelques lourdeurs de style. J’ai vraiment accroché parce que j’aime la façon de faire de Dolan, les thèmes qu’il développe, le climat cinématographique, la direction extraordinaire des acteurs.