Un air de famille déchirée, un Festen du bout du monde qui aurait lieu partout mais nulle part; mais surtout la magie incomparable des images de Dolan, de sa musique envoûtante, de son emprise produite par chaque plan… et ce jusqu’à l’étouffement.
On l'attendait avec impatience depuis le Festival; auréolé du Prix du Jury, le dernier Dolan ne pouvait-il que nous décevoir après l'incomparable Mommy ?
Le talent immense et si singulier du jeune génie du cinéma canadien, se confirme et s’amplifie; il y a là quelque chose d’indiscutable, de complètement imposant, voire éblouissant. L’intensité y est, l’émotion affleure là où il faut, et elle explose quand nécessaire. Mais plus on est bouleversé, plus on a le sentiment d’avoir été grugés, et une grande frustration ne manque pas de nous envahir.
Trop d’ellipses, trop d’envolées lyriques et trop peu de place pour le spectateur qui devient le tiers inutile de ce déjeuner en famille qui vire au drame. L’impossibilité radicale que les protagonistes ont à communiquer lasse un peu d’être touchante pour devenir oppressante. A force de gros plans, de longs regards langoureux qui finissent par ne plus rien dire, quelque chose du tragique vire au spectacle pour lui-même.
On devine trop vite que Louis qui avait été rejeté pour son homosexualité finira par taire le secret qu’il était venu confier, ce qui fait tomber la tension déjà un peu artificielle de cette pièce filmée. Les années où l’annonce d'une contamination par le Sida était fatale nous semblent un peu loin -heureusement- mais on sent bien que cette «menace» qui place sur la différence reste d’actualité, même si elle prend d’autres formes.
Le frère caractériel, l’adolescente perdue, et la mère possessive ont plus ou moins deviné ce qui motive le retour subit du frère surdoué, absent depuis 12 ans et devenu célèbre par son écriture. Et pourtant, chacun refoule la fatalité de son annonce à sa manière, et surtout pour des raisons bien différentes.
Pour revenir à la thématique centrale de Dolan et à la façon tellement brutale -ou au minimum tellement frontale- qu’il a de mettre en scène la relation mère/fils, dans Juste la Fin du Monde la nouveauté consiste à étendre le propos à partir de ce nœud. Ce que suggèrent les crises (un peu trop programmées dans leur progression) de chacun, c’est que l'amour plus exprimé et exubérant de la mère, n’est que le paradigme de l’amour inavoué et inavouable de TOUS les protagonistes de cette constellation familiale sans père (sic). Et c’est certainement cet amour, bien davantage que les rivalités et les conflits, qui nourrit la névrose collective de la famille.
Les acteurs oscillent entre l'excellence et la caricature, autant que les personnages oscillent entre la bêtise primitive extrême et l'intelligence subite. La puissance et la finesse leur advient un peu miraculeusement, tel un coup de grâce inattendue. Mais surtout -comme le plus souvent- c'est la mère qui est le pire débris de l’humanité, mais qui en définitive a le plus beau rôle…
Trop plein ou trop creux, l'ensemble nous laisse sur notre faim alors que nous sommes gavés d'images et de musique. On capitule, et on accepte de se laisser décevoir, mais ce n’est pas sans regret. On aurait voulu retenir quelque chose de plus vrai, de plus consistant, de ce très beau moment qui commençait avec une puissance absolue, mais qui en définitive ne tient ses promesses que sur la forme.