De chef d’œuvre à chef d’œuvre, le dialogue est parfait. Surtout pour une œuvre qui saisit avec une telle virtuosité l’incapacité à communiquer au sein d’un espace traditionnellement consacré à la parole : la cellule familiale. Cellule dit tout car le film, comme la pièce de Jean-Luc Lagarce, est un huis clos brûlé de soleil et pourtant trempé par l’averse qui, impromptue, s’affirme telle la perturbation atmosphérique qui n’aura pas lieu, pas vraiment. Le déluge transparaît à l’image comme Louis transpire. Il se traduit tout entier par le microclimat de tensions et de heurts qui trouve une résonance dans le monde entier : c’est l’avion qui a fendu l’air, les vêtements qui volent au vent. De l’avant au passé, l’échange est éclaté, détourné, suit en ce sens l’esthétique du fragment mise en place dès le début du long-métrage par la consultation accélérée des cartes postales qui produisent le même effet que cet instrument d’optique qu’est le zootrope : donner naissance à une image en mouvement, à une illusion ayant pour conséquence de mettre en présence ce qui, jusqu’alors, restait en deux dimensions. Juste la Fin du monde exprime la peur du temps plus que de la mort elle-même : Louis est dramaturge, ce qui fait de lui le démiurge d’un petit monde qui s’anime et s’achève sous les traits de sa plume. Seulement, le voilà jeté dans une pièce de théâtre qu’il n’a pas écrite, encore moins choisie, et dont il doit affronter les personnages ainsi que les blessures qu’ils laissent entrevoir. Il n’est plus le maître du temps, et le coucou qui achève son vol sur le sol prophétise son départ. Xavier Dolan ose filmer le faux, le dissonant et le surjeu, surprend par une première partie défaillante mais nécessaire à la douleur pour vibrer en chacun des membres de la famille qui, sous leur masque, finissent par dévoiler un cœur qui bat. Les êtres doivent être réunis, les circonstances le veulent ; néanmoins, nous les trouvons isolés, réunis par le malentendu : la magnifique composition des plans tantôt enferme chacun des protagonistes par le recours au gros plan tantôt fracture l’échange entre les interlocuteurs par un savant positionnement des corps et des visages. Les directions adoptées divergent, la communication est biaisée, elle passe par l’intermédiaire des ressentiments. C’est du théâtre magnifié par du cinéma. La caméra capte ce que le langage échoue à mettre en mots et en phrases, elle se rend maître du silence comme d’un espace invisible où les tensions convergent vers l’absent, cet inconnu dont on ne sait rien, ou si peu. Ne surtout rien leur dire, leur laisser le droit à l'illusion et à l'espoir. Juste la Fin du Monde bouleverse par la violence de ses non-dits, par l’impossible accouchement d’une parole qui ne trouve pas les dispositions pour naître au monde et, ce faisant, annoncer la mort. On en ressort encore gonflé par une douleur vive que la chanson de Moby n’aura pas su faire disparaître, elle qui extrayait de l’agonie d’un vieillard la vision d’une résurrection.