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Oui, la réalisation de Doug Sweetland est admirable – du rendu des plaques de glace glissant sur l’eau gelée à l’expressivité des personnages. En même temps, quand on a travaillé chez un monstre comme Pixar pour des films aussi exigeants que Toy Story (1995) ou Les Indestructibles (2005), ça n’a rien d’étonnant. Ça reste agréable à regarder. Mais le problème n’est pas visuel, non. Le problème réside dans l’anéantissement total des deux piliers sur lesquels repose tout film d’animation réussi.
Un : les doublages.
Alors je ne sais pas si c’est la version française qui massacre une fois de plus les dialogues du film, toujours est-il que la totalité des répliques tombent à côté de leur texte. Bérangère Kiref, Issa Doumbia et Florent Peyre ont beau y aller à pleines cordes vocales, ils semblent incapables de donner à leurs personnages le moindre semblant de vie. Ils s’efforcent d’être drôles, poussivement, sans faire attention à la situation de la créature à laquelle ils donnent une voix se trouve. Complètement déconnectés de leurs répliques, il faut reconnaître que celles-ci ne les aident pas : la traduction est si « près du texte » que Reverso lui-même n’aurait pas fait mieux. Quelle spontanéité en effet, lorsqu’un personnage s’écrie « j’aurais dû peser le pour et le contre » en s’apercevant qu’il a peut-être commis une erreur. Quel tonus, quel sens du drame, quand Tulip (Bérangère Krief) clame « mais non, on est une équipe » avec la même intonation que si elle disait « mais t’es fou, je ne peux pas porter cette robe ». Visiblement, la direction leur a imposé une ligne : soyez drôles, un point c’est tout. Le reste, on s’en moque. On vise le label UGC Family – bien mieux décerné aux Trolls, dont la critique est ici. Les émotions, c’est nul, après tout. Après enregistrement des comédiens, les monteurs ont dû s’endormir juste derrière, étant donné l’absence complète de synchronisation entre les mouvements de lèvres et les voix. Tout ça sent le bâclé, fait à la va-vite, supposé malgré tout être amusant « pour les enfants. » Sauf que les blagues – nombreuses, trop, beaucoup trop – s’échouent avec la même grâce que cette cigogne antihéroïque sur sa paroi de verre. Seule distinction : en lieu et place de verre, elles ne rencontrent que l’indifférence des spectateurs, de tout âge. C’est un bide complet. Les trois quarts des vannes sont superflues, les réalisateurs ont tellement voulu « dédramatiser » qu’ils ont obtenu un objet inédit : il n’y a plus de drame. Du tout. Et ça tient en partie au second pilier détruit, lors de la réalisation.
C’est-à-dire, deux : l’articulation histoire-dessin.
John Lasseter l’a dit lui-même : quand on commence à travailler sur un film d’animation, la denrée de première importance, c’est l’histoire. Pour le coup, l’idée de base est bien trouvée : recycler des cigognes porteuses de bébés en expéditeurs façon Amazon, c’était original. Mais ça, c’est une idée, pas un scénario. Or celui-ci se disperse dans tous les sens, tout en hurlant haut et fort qu’il veut être sympathique, à tel point qu’il en devient tout naturellement insupportable. A cette base – largement suffisante pour faire un film –, on rajoute une orpheline humaine égarée parmi les cigognes – Tulip –, un pigeon – subtilement nommé « Lerelou » – planté là à titre de running gag pataud, une meute de loups assemblables en « formations » à la manière d’un mélange entre un jeu de mécano et une bande de Transformers, une famille dont les parents sont trop occupés pour faire attention à leur fils unique…Stop. Il y a beaucoup trop d’éléments là-dedans. Et à force de partir dans toutes les directions, le film n’arrive plus du tout à faire profiter son histoire de sa technique d’animation – de très bonne qualité, je le redis. Le seul moment où celle-ci est mise en valeur, c’est justement lors des interventions de ces loups-briques de Legos – clin d’œil Warner à leur filmographie, on imagine. Là, la technique sert l’histoire pendant la course-poursuite. Là, on ne voit pas du tout comment cette scène aurait pu être racontée autrement qu’en animation. Là, ça fonctionne. Mais pour tout le reste, aucun intérêt.
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La suite vous intéresse ? Peut-être même que le début aussi ? Venez les lire par ici, je vous en prie.