Le dernier film des frères Dardenne suscitera-t-il des vocations de médecins ? On peut en douter tant le quotidien de Jenny, la jeune femme médecin qui en est le personnage principal, n'a rien d'affriolant. Il ne pouvait en être autrement quand on connaît la tendance à la noirceur des situations dans le cinéma des frangins belges. Jenny a donc commencé à exercer sa profession à Seraing, une banlieue de Liège où s'accumulent les cas sociaux. Elle a un principe qu'elle essaie d'inculquer à un stagiaire qu'elle a en charge : ne jamais écouter ses émotions lorsque l'on consulte. Or, un soir, alors que l'heure des consultations est largement dépassée, elle refuse d'ouvrir son cabinet à une très jeune femme en détresse. Laquelle sera retrouvée morte quelque temps plus tard sur les bords de la Meuse. Renversement de situation : Jenny, éprouvant un sentiment de culpabilité, va s'appliquer à faire la lumière sur cette mort énigmatique et de ce fait à se transformer en enquêtrice. Le film explore les bas-fonds de la cité mais aussi ceux de l'âme humaine. Jenny est ainsi confrontée aux problèmes de la prostitution, des trafics de drogue et des misères sociales de toute nature. Comme le plus souvent chez les frères Dardenne, la caméra se fait distante : pas de commisération intempestive, même si la fin a de quoi émouvoir. En tout cas, pas de musique et le générique de fin se déroule avec pour fond sonore l'enregistrement de moteurs de voitures qui ne font que passer sur une voie rapide : comme l'explique Luc Dardenne, "Les voitures ne cessent d’y passer à grande vitesse, comme le monde qui suit son cours, ignorant l’importance de ce qui se joue dans le petit cabinet du docteur Jenny". Une telle bande son vaut toutes les meilleures musiques du monde. Enfin la distribution est excellente : Adèle Haenel en tête qui offre au personnage de Jenny son allure de lycéenne aux prises avec un monde dont elle ne soupçonnait pas la noirceur ; mais aussi deux habitués des films des frères Dardenne, Jérémie Renier, splendide comme à son habitude, et Olivier Gourmet, dont le rôle est à l'opposé de ceux qui l'ont rendu célèbre : ici il campe un des personnages les plus sinistres et ignobles de sa filmographie - une présence à l'écran de courte durée, mais des plus marquantes. Or, malgré toutes ces indéniables qualités, le scénario ne réussit pas tout à fait à convaincre : trop de rebondissements, surtout dans la dernière demi-heure, qui alourdissent le film et nuisent à son unité.