En a-t-elle, des histoires à raconter, la Shéhérazade convoquée par Miguel Gomes? Des histoires longues ou brèves, des histoires d'un pays attristé, le Portugal, d'un pays dont les habitants se sont majoritairement appauvris du fait de la crise. Le réalisateur l'a sillonné, ce pays, son pays, pendant près d'un an, recueillant une multitude de récits et d'images dont il a tiré la matière de trois films dont voici le deuxième volet, le plus sombre, le plus désolé, comme l'indique son titre.
Y a-t-il moyen de les enchanter un peu, ces histoires-là, ou, du moins, d'y glisser un peu de fantaisie? Oui, semble répondre Miguel Gomes, qui n'a pas choisi la voie du documentaire mais de la fiction. Plus exactement, il reconstruit chaque histoire recueillie et bien réelle en la mettant en scène et en l'habillant de ses couleurs et de sa fantaisie propres. Il s'appuie sur le documentaire pour le réinventer en en une apparence de fiction.
Mais revenons à Shéhérazade et à ses récits. Il y en a trois dans ce deuxième volet. L'histoire de Simão, surnommée "Sans-Tripes", un homme en cavale que les uns jugent mauvais et que les autres déculpabilisent: preuve, s'il en est besoin, qu'on ne connaît jamais suffisamment le coeur d'autrui. La deuxième histoire le dit aussi, mais de manière encore plus complexe, en mettant en scène une juge aux prises avec une affaire de vol de bétail. Qui est réellement coupable, comment déterminer de façon sûre le bien et le mal? La juge déboussolée et impuissante nous ressemble, nous qui, acteurs d'un monde qui va mal, aimerions trancher et désigner des coupables et qui ne le pouvons pas (si nous ne voulons pas céder aux simplifications).
Quant à la troisième histoire, elle est démultipliée en une série de brefs portraits;ceux des habitants d'une tour. C'est un chien appelé Dixie, un chien abandonné et recueilli, un chien qui passe de maître en maître, se prend d'affection pour chacun d'eux tout en s'empressant d'oublier le précédent, qui fait le lien entre ces divers portraits. Ce sympathique animal est-il le signe que tout n'est pas perdu et qu'il y a moyen, même et surtout en temps de crise et de précarité, de faire preuve de fraternité, si l'on peut dire? Peut-être bien. En tout cas, si ce deuxième volume des "Mille et Une Nuits" est teinté de couleurs assez sombres, il ne l'est pas entièrement et ce grâce, entre autres, à ce brave toutou! Mais sans doute le troisième volume nous le dira-t-il encore davantage puisqu'il a pour titre "L'Enchanté"... 8/10