"Much Loved" est un film bien plus important qu'il n'y paraît. Important parce qu'au-delà de la prouesse cinématographique en elle-même, il rappelle les grandes heures anciennes où l'art et l'expression cinématographiques étaient autant un engament esthétique qu'un engagement politique. Nabil Ayouch, qui non seulement réalise le film, mais le produit, réussit un coup de maître. Il met en scène quatre jeunes-femmes, apparemment libres, très belles, très sensuelles, qui couchent avec des hommes fortunés, boivent avec des Saoudiens, font la fête, dans une ville qui pourrait être Paris ou Berlin. Cette ville, en vérité, c'est Marrakech. Et c'est là que le courage du réalisateur devient perceptible. Il filme Marrakech avec passion et dignité, comme un Almodovar le ferait de Madrid, mais ce qu'il révèle au-delà des lumières de la ville, c'est la complexité d'une société tentée par la modernité, l'argent, mais rattrapée par ses traditions. On se cache, on fait semblant, on juge, et en même temps, une mère est capable implicitement d'encourager sa fille à la prostitution et la mettre à la porte de la maison familiale le lendemain. Noha, Randa, Soukaina, Hlima luttent pour la liberté dans une communauté qui laisse peu de place aux femmes, et surtout se targue de moralité et de bienséance. Leur seule arme est la séduction. Elle la déploie sans limite auprès de ces hommes riches, dont elles n'attendent pas tant de l'argent qu'un billet pour l'Europe, une reconnaissance sociale, un regard empli de dignité. Le film brosse à lui seul les tabous qui traversent notre société, a fortiori la société marocaine. Il dénonce le tourisme occidental qui se pétrie de la misère postcoloniale. Mais Ayouch ne fait pas seulement un film politique. Il fait d'abord du cinéma pour ses quatre héroïnes qu'il met amoureusement en scène. Il soigne la photographie, d'un rouge presque sensuel, il cherche les images de la ville comme des joyaux à leurs existences remplies de joies et de détresses. Au milieu de ces femmes, le réalisateur introduit un chauffeur de taxi, Saïd, comme une sorte d'ange bienveillant, dont l'occupation principale est de conduire les filles à leurs soirées arrosées. Cet homme sauve une communauté marocaine dont on pourrait craindre les excès. Il montre une image masculine respectable qui permet au film d'échapper à toute tentation manichéenne ou réductrice. Le réalisateur montre ainsi à travers ses personnages un pays complexe, tout autant que ces jeunes-femmes brillent de contradictions. Le propos n'est jamais simpliste, jamais provoquant. Bref, Ayoun a réussi le pari de faire un film qui donne à réfléchir bien sûr, mais surtout à croire en la capacité des femmes à changer le monde.