Émilie Brisavoine nous raconte à travers un « documentaire » qui sont les membres de sa propre famille. La mère Meaud, le père Frédéric, la fille Anaïs, le fils Guillaume, et plus particulièrement la cadette Pauline.
Le documentaire susmentionné se réfère à la captation de cette histoire, brute, pure, sans « mise en scène ». Donc autant l’évacuer tout de suite: oui, l’image restera dégueulasse de bout en bout. Non, il n’y a aucun travail technique sur la réalisation, l’image (majoritairement DV et VHS) ou même le son en dehors des musiques extradiégétiques. Bien que cela semble rendre le film peu accessible, cela joue en réalité en faveur d’une certaine cohérence avec le ton ultra-personnel que prennent ces images d’archives de la famille Lloret-Besson.
Ainsi, difficile de « critiquer » PAULINE S’ARRACHE au delà de sa forme. Il y a quelque chose de très sincère qui émane du film dès les premiers instants, lorsque que l’on comprend qu’Émilie Brisavoine ouvre une fenêtre sur l’intimité de ses proches – faisant de nous des voyeurs autant que des juges du spectacle du quotidien. La réalisatrice ambitionne en réalité bien plus que l’étiquette « documentaire » ne pourrait le laisser supposer: elle souhaite nous raconter une histoire, un parcours empathique. Ainsi, le montage très judicieux (Karen Benainous) des 4 ans de rushs filmés par Émilie Brisavoine est l’atout idéal pour faire naître ce conte « réaliste et universel », à partir de scènes triviales empreintes de vécus singuliers.
Il n’y a proprement parler, pas de suspens dans PAULINE S’ARRACHE. Pourtant, la narration du film nous incite à recomposer au même rythme que Pauline la personnalité complexe de ses propres parents… Caractères qui par extension, transmission et mimétisme inconscient, constituent sa propre personnalité. Pauline, au départ immature, effectuera un parcours psychologique et cathartique en quelque sorte amorcé par le dispositif de tournage d’Émilie Brisavoine.
Dans le détail (ATTENTION, chapitre légèrement SPOIL) :
Pauline d’abord, nous est présentée avec TOUS ses défauts: elle est vaguement charismatique, mais surtout jeune et pas toujours très mature; elle a ces tics gestuels et oraux insupportables, elle s’embrouille gratuitement avec son mec ou même avec tout le monde… Pourtant un certain contrepoint nous fera relativiser notre perception négative (mais empathique) de Pauline, lorsque nous seront introduits ses parents, eux même en contrepoint de leur propre passé.
Meaud et Frederic (et donc Pauline) sont donc des monstres de « cinéma du réel ». Ce qui est fascinant c’est de mettre en parallèle leur exubérance passée et disparue avec leur quotidien triste et étroit, et d’expliquer avec subtilité comment ces 15 – 17 années de transition ont façonné la personnalité de Pauline. Par exemple Fred le papa, est colérique et oralement humiliant… Ce qui contraste avec la Marylin Monroe du générique tout comme avec la père et mari capable de rassurer ses femmes. Meaud la maman, ressemble à l’une de ces housewives françaises effacées et clichées, ayant par contre remplacé les soirées tupperware par de la confection d’aliens en glaize – très éloignée donc, de l’exhibitionniste punk et féministe dont on entend souvent parler mais que l’on ne verra (presque) jamais. Par l’utilisation parcimonieuse de flashbacks (enfin, de films de famille) Brisavoine nous transmet un peu plus que de la nostalgie, nous montre un certain reflet du passé dans le présent, un certain désespoir du temps qui défile inexorablement et une certaine pertes d’idéaux avec l’âge et la détérioration des corps. C’est peut-être cela qui se cache derrière ces nombreuses engueulades entre Meaud et Frederic.
Associer les nombreux indices distillés par le film sur tous ces personnages et leurs fascinants vécus nous permet d’accompagner le parcours mental de Pauline vers la compréhension de son propre comportement. Celui-là même que nous percevions comme agaçant et puéril n’est-il pas l’expression toute adolescente d’un historique émotionnel et familial lourd ? un historique ni véritablement extraordinaire, ni particulièrement tragique, simplement singulier, comme celui de chacun d’entre nous. Pauline n’en est d’ailleurs pas une victime, mais un rouage. Voilà pourquoi elle doit s’arracher: pour le bien commun.
PAULINE S’ARRACHE apparaît au final comme un film-docu-cathartique subtilement complexe, pour peu que l’on accepte de faire ce voyage avec Emilie Brisavoine et la famille Lloret-Besson.