Méditerranéa est un film irrévocablement actuel. Il véhicule un espoir, un appel. Mais sa force, bien unique, tient en grande partie par la légèreté et subtilité avec lesquelles le sujet est abordé. Ceci n’est pas un film qui déplore avec bons sentiments la condition de l’immigré, pris comme entité, comme catégorie socio-économique ; mais plutôt l’histoire de ces deux frères, très humains dans leurs qualités et leurs défauts, à l’épreuve d’un monde contemporain individualiste et souvent forgé dans des idées haineuses. Caméra à l’épaule, mouvements désorganisés de l’être humain. Les plans y sont spectaculaires parce qu’ils n’ont pas la prétention de vouloir l’être : la magie des couleurs et des mouvements tient en l’intimité dans laquelle la caméra se glisse en ses sujets personnages, en leurs réalités. Il faut applaudir la performance du chef opérateur Wyatt Garfield dans cet exercice : abandonner les effets de style, laisser la beauté de la justesse des plans s’imposer. Le choix des dialogues répond à cette même expérience. Pourquoi avons nous tant besoin de ce film? Il apparaît comme un accès à cette complexité aux apparences inabordables d’un monde à la fois sur-connecté et sur-fragmenté. Comment comprendre, dans un méandre médiatique, les valeurs les plus simples qui attachent un humain à un autre humain ? Lorsque tout est traduit en nombres, en statistiques, relayées sur des médias, c’est en réalité un éloignement que l’on creuse, et un mur que l’on bâtit. Dans un monde globalisé où les données apparaissent comme la plus importante arme, économique politique et autre, il nous faut notre arme à nous pour passer au-delà des nombres. Les migrants et les dangers auxquels ils font face, en terre de départ comme en terre d’accueil, nous sont présentés, ou plutôt recensés en nombres, en moyennes, dans des articles à titre dénonciateur. Mais c’est souvent la lourdeur qui l’emporte. La particularité qui se cache derrière, la simplicité est souvent mise en suspens, au profit de ces données. C’est pourquoi les portraits d’Ayiva et de son frère Abas sont si importants : ils sont complets. Notre attention sera tour à tour attirée par ces catastrophes, arrivée en bateau, problèmes de logements… Et par ces petites choses qui nous attrapent, poésie du réel. Les attachements avec Marta, Pio. L’ipod, la musique. Le film est un accès par bouffée d’air. C’est aussi le judicieux mélange entre la musique composée pour le film, aux tonalités à la fois graves et légèrement enfantines ; et la pop musique connue de tous, qui s’impose comme précieuse aide à la narration. La musique de Rihanna se justifie entière parce qu’on l’écoute avec les personnages. La pop culture s’allie avec force aux sentiments humains intemporels.