Il est de ces films qu’il est parfois difficile de dénigrer, notamment face à l’enthousiasme généralisé des critiques, du public, et dans le cas présent, du jury cannois. Oui, Le fils de Saul, film du cinéaste hongrois Laszlo Nemes est reparti de la Croisette, en mai 2015, avec un Grand Prix en poche. Volé? Sans doute que non. Pour autant, cette nouvelle plongée dans l’horreur incommensurable des camps de la mort nazis, Auschwitz, le pire d’entre tous, ne satisfait qu’en partie le curieux passionné de cette triste époque qui réside en moi. Le cinéaste aux commandes de cette production, sur le papier, audacieuse, caractérisée par un budget réduit qui découragerait tout un chacun, s’emploie à offrir une nouvelle vision de l’holocauste, vu de l’intérieur, vu de son cœur même. Faisant le choix du format 4:3, usant et abusant des flous pour masquer à la fois l’horreur du contexte et son manque de moyens, rivant strictement sa caméra sur le protagoniste principal, Laszlo Nemes redouble d’inventivité pour tenter d’innover, pour faire de son brûlot sur l’une des plus grande tragédie humaine, une œuvre purement artistique.
Nous voici donc dans les guêtres d’un déporté, Saul, assigné, dans les murs de la plus terrible des usines de mort, dans les rangs du Sonderkommando, juifs forcés d’assister les officiers SS et autres bourreaux hiérarchisés dans leur tâches de purification ethnique. Saul et ses compagnons d’infortune, le mot est faible, guident le cortège funeste à l’entrée des douches, vident par la suite ces mêmes douches de ses occupants décédés, les menant jusqu’aux fours. Vient ensuite le temps de la fouille, la saisie des biens perdus dans les poches des défunts. Viennent aussi parfois les sessions de débarras des cendres dans la rivière et j’en passe et des plus terribles. Pire encore, malgré leurs tâches horrifiantes, leurs statuts condamnent pourtant ses hommes à un mort imminente. Un sale boulot que de nouveaux arrivants pourront exécuter. Le temps est compté lorsque Saul découvre, à la sortie d’une séquence de gazage éprouvante, son fils parmi les victimes. L’homme, qui n’a plus rien et surtout plus rien à perdre, décide de tout tenter pour offrir une sépulture décante à sa descendance perdue.
Il s’agit ici de narrer l’obstination d’un condamné à mort et à l’horreur pour rendre respect à son fils. Touchant, surtout du fait de l’inhumanité ambiante. Les bourreaux sont inhumains, mais pire encore, les forçats le sont aussi, à force de côtoyer l’enfer et à défauts d’un espoir auquel se rapprocher. Offrir une sépulture à ce gamin est sans doute la preuve ultime d’humanité dans tout cet enfer, le moyen, sans doute le dernier, pour Saul d’exister, de rester un homme. Son objectif n’étant pas déjà assez complexe à mettre en œuvre, voilà qu’un vent de révolte souffle fort dans les rangs des Sonderkommandos. Sur le papier, en effet, tout ça fait belle figure. En réalité, la mise en scène pleine de partis-pris artistiques ne permet que partiellement l’immersion, du moins une immersion telle qu’espérée. Tout n’est finalement que point de vue unique, dans le fils de Saul, la caméra à l’épaule ne quittant jamais le dénommé Saul, le reste se jouant dans un flou souvent perturbant et par un incessant fond sonore composé de hurlements en allemands ou autre langes slaves, sans la moindre partition musicale.
Vous l’aurez compris, Le fils de Saul, c’est une autre façon de revisiter l’histoire, une façon charmante, d’apparence, mais finalement flémarde, à mon propre sens. Oui, ce format réduit, cette caméra à l’épaule tremblotante, ce flou exacerbé qui irrite l’œil, tout ça tend à faire penser aux productions qui utilisent le contraste mal calibré, ou les prises de vues nocturnes, pour masquer les défaillances de mise en scène. Oui, le manque de moyens n’excuse pas tout. On peut tout de même saluer les efforts de Laszlo Nemes, qui s’il ne passionne pas vraiment, ose au moins affronter l’horreur des camps de concentration très frontalement. J’ai donc la fâcheuse tendance de considérer ce film récompensé comme un devoir de mémoire avant d’être un œuvre de cinéma. Peut-être fais-je erreur. 08/20