Réponse de Normand : je ne peux pas dire que j’ai aimé ce film, mais il m’est impossible de dire que je ne l’ai pas aimé. Avec ça on est bien avancé ! Il y a des sujets comme la Shoah où il est tabou de ne pas aimer. Après tout, ne pas aimer le film ne signifie pas ne pas aimer le sujet. Et ne pas aimer le sujet ne signifie pas qu’on rejette les faits. Ce qu’on n’aime pas c’est le film en lui-même, c’est sa réalisation, le point de vue, sa mise en scène, le hors sujet. Ici, avec « Le Fils de Saul », il n’est ni question de sujet, ni question du traitement du film. Quand le film est sorti et à Cannes et sur les écrans de France, les critiques étaient dans l’ensemble séduites. Alors ça ne manque pas, quand on attend le film comme une montagne et que celle-ci a les traits d’une souris, la déception est à la hauteur de l’attente. Et pourtant, « Le fils de Saul » à défaut d’être un film remarquable est un film qui relève d’une certaine performance dans sa mise en scène. Dans son parti pris. Laszlo Nemes décide de nous suggérer plutôt que de montrer frontalement les horreurs des camps de la mort. Pourtant, on voit, on voit un peu, on devine avec ces arrières-plans volontairement flous ou réduits. On devine des corps, des visages. Le parti pris de filmer à hauteur d’épaule du personnage, que dis-je dans son dos réduit considérablement tout ce qui se passe autour de lui. Ce n’est pas tout à fait la vision de Saul qui nous est restituée. Par contre, ce qui est tout aussi performant, c’est le travail sur le son : ce camp de la mort est comparable à une usine. Des cris lointains se précisent au moment où Saul s’en approche ; des cris divers où ordres hurlés, horreur, plaintes se confondent avec des bruits de portes qui se ferment violemment, portes de chambres à gaz, de fours crématoire, portes de trains, de moteurs de camions, de trains, de ferrailles lourdes, de coups de feu. On suit ainsi Saul dans un tourbillon de violence et de chaos. On a droit à un léger repos de la caméra quand celle-ci fait face à Saul. Comme une respiration éphémère, comme pour reprendre son souffle après une plongée dans l’eau. Ce film est assourdissant et étouffant. Voilà pourquoi, je parle de performance ce qui ne signifie pas pour autant que c’est exceptionnel. Mais j’avoue que j’ai été pris dans ce tourbillon d’angoisse, de terreur. Par contre, le fait de suivre Saul, d’être comme tous ceux qui s’agitent autour de lui, m’a laissé à distance. Un comble me direz-vous. J’avais l’impression de toujours courir derrière lui. Et puis cette obsession de vouloir enterrer ce jeune homme décemment m’intriguait à la fois et m’irritait. Pourquoi ce jeune homme plus qu’un autre ? Etait-ce vraiment son fils ?
Ce n’était pas le cas
. Mais comment ne pas devenir fou ou perdre tout esprit dans ce chaos ? Dois-je m’excuser de ne pas avoir eu d’émotion ? Si j’ai été sensible à la démarche artistique de Laszlo Nemes je ne l’ai pas été pour son personnage principal. Sans doute plus préoccupé par sa quête de trouver un rabbin au milieu de ce tourbillon de la mort. La démarche artistique, un tantinet radicale et intéressante, n’a-t-elle pas phagocyté l’émotion même du sujet ? C’est pourquoi, je ne peux pas dire que j’ai aimé ce film et encore moins dire que je ne l’ai pas aimé. « Le fils de Saul » est à la fois une curiosité et une déception…