En deux longs-métrages, Laszlo Nemes a su définir ce qui faisait son expression cinématographique : une focalisation resserrée sur le protagoniste principal, un goût pour la reconstitution minimaliste de l’Histoire où la simple évolution de ce même protagoniste au sein de l’espace doit suffire à engendrer une impression de réel, un recours aux plans longs qui embrassent l’ampleur d’une action sans en organiser ni la logique ni la dynamique par le biais d’effets de montage. Sous la forme d’un processus, son cinéma est donc à la fois très enfermé sur lui-même et s’ouvre pourtant aux hasards que le destin individuel rencontre. Ce destin, c’est la machine sociétale en pleine expansion, c’est le fracas des constructions humaines porteuses de destruction, c’est l’errance d’un être au sein de cette Histoire, perdu dans la recherche d’un lien familial à restaurer. Le Fils de Saul capte les terreurs sourdes d’un père désireux d’offrir à un fils défunt qu'il pense être le sien une extrême-onction religieuse : dans l’horreur des camps d’extermination, Nemes suit ce père des caves obscures jusqu’à la lumière obtenue après moult épreuves. Car le film est un combat de la lumière contre l’obscurité, le cri étouffé d’un homme aux allures d’automate qui, pourtant, conserve en lui ces fragments de sublime qui le raccordent à l’humanité triomphante, dans un au-delà de l’horreur ambiante. Le titre choisi par le cinéaste s’avère tout à fait intéressant : il est question du fils et non du père, ce qui charge la focalisation adoptée ici d’une déficience fondamentale ; le père ne campe qu’une fonction complémentaire, preuve s’il en fallait trouver une que le point de vue adopter par Nemes n’est pas bêtement immersif, à la manière d’un jeu vidéo par exemple où le joueur serait le héros, mais se pense comme une descente dans la mémoire brouillée et brûlante de la Shoah. De même que le personnage principal ne parle pas la langue de l’ennemi et se contente de répéter des bribes de mots pris çà et là, le spectateur doit reconstruire mentalement les structures physiques et idéologiques à l’origine de ce drame et que le cinéaste a évacuées. Il faut entreprendre ce chemin de croix, aussi douloureux et pénible puisse-t-il être, non pour dire « j’y étais », mais pour dire au contraire « je n’y étais pas et je ne veux jamais vivre cela ». L’expression cinématographique de Nemes se tient là tout entière : la transmission de la marche de l’Histoire à échelle individuelle, dans le chaos de sa réalisation. La clausule du métrage propose d’ailleurs une transmission de cette mémoire, lorsque le jeune garçon prend la fuite au son des coups de feu et disparaît dans la nature, emportant avec lui les images, les espoirs et la parole.