Voilà un film qui provoquera autant le rejet que l'adoubement. La raison principale se situe dans le choix esthétique, absolument original, que le réalisateur a voulu donner de cette histoire de la Shoa, parmi les tous les films ou récits qui ont déjà tenter d'en rendre compte, et le point de vue historique troublant, à savoir celui des prisonniers appartenant au Sonderkommando dont la fonction était de rendre possible la terrifiante boucherie humaine qui s'est déroulée dans les camps de concentration. Saul, ou Aüsländer suivant l'interlocuteur allemand ou hongrois qu'il rencontre, fait partie de ces hommes dont le manteau est barré d'une croix rouge dans le dos, et dont le métier, si l'on peut dire, est de déshabiller les hommes et les femmes avant le gazage, de fouiller les vêtements à la recherche de l'or, et de nettoyer les dépouilles humaines de ces gouffres de tueries. Il est filmé par une caméra à l'épaule, au plus près du visage, et le reste est brouillé, comme pour mieux dénoncer l'horreur humaine qu'il est contraint, avec d'autres, de mettre en œuvre et de supporter chaque jour. La terreur est lisible partout. D'abord dans ces sortes de couloirs obscurs, percés parfois d'un jet de lumière, ensuite sur ces visages épouvantés, fermés pour résister à l'empathie qui les empêcherait de continuer cette tâche insupportable, et enfin dans ces rapports humains où les luttes de pouvoir ne sont hélas pas le seul apanage des allemands qui dirigent le camp. Saul croit un jour percevoir à travers un enfant qu'il sauve d'une terrifiante dissection, son propre fils. Il se met en quête d'un Rabbin pour que le petit puisse être enterré dignement ; en vérité, ce film est une véritable allégorie de la vie qui doit se perpétuer au-delà de ce que l'humanité est capable de produire de plus morbide. Cet enfant, c'est l'enfant de Dieu, l'enfant de toutes les humanités. Car si Saul se sait de toutes façons condamné, il est occupé non pas à préparer la fuite, mais à rendre encore humain ce qui échappe à toute forme de rationalité, et à construire un témoignage de cet impossible à penser. On regrettera les errances du scénario parfois, la mise en scène à certains endroits trop rugueuse, et surtout, plus gravement, une vraisemblance narrative assez discutable. Il s'agit tout de même d'une première œuvre de fiction. En tous les cas, ce film, au-delà de l'horreur qu'il raconte, est un hymne magnifique au devoir de mémoire à transmettre aux enfants du monde, qui, demain, pourront on espère, empêcher la répétition de pareils massacres.