Etrange objet que ce film. Réaliser un film sur les sonderkommandos, c'était à la fois culotté, et indispensable, puisque voilà un sujet que le cinéma n'a jamais osé approcher. Comment parler de ces gens là, qui servaient de supplétifs aux nazis pour les besognes les plus écoeurantes, pousser les malheureux dans les chambres à gaz, puis nettoyer par terre, le sang, les déjections, trier les habits -tout ça pour quoi? Gagner quelques semaines de vie avec une petite latitude de déplacement, une nourriture sûrement dégueulasse mais permettant de ne pas mourir de faim? Avaient ils l'espoir fou d'être épargnés? Et parmi les kommandos, il y avait des öber, qui se comportaient aussi brutalement avec leurs hommes que les allemands.... pour se faire bien voir?
Donc on est reconnaissants à Laszlo Nemes d'avoir pris le sujet -on lui reproche de ne pas l'avoir pris à bras le corps.
Une autre chose qui est formidable, c'est que ce réalisateur a travaillé avec des objectifs qui ne permettent de mettre au point que sur une profondeur très limitée. Donc, on voit le héros -et tout l'arrière plan est flou. Ce qui permet d'éviter le gore; d'éviter la nudité, ce que je ressens comme une forme de respect pour ceux et celles qui sont passé par là.
Le problème c'est que le scénario nous met très mal à l'aise. Un jour, un enfant survit au passage par la chambre à gaz, sans doute protégé par les corps accumulés sur lui, et oh il ne vivra pas longtemps -un nazi s'empressera de l'étrangler, mais cette survie miracle intrigue les autorités qui veulent l'autopsier pour comprendre. Saul (Géza Röhrig, belle gueule burinée à la Edouard Martin) a assisté à cette scène. Et il se met en tête de soustraire le petit corps à l'autopsie et de l'enterrer dans les formes avec le kaddish dit par un rabbin. Pourquoi? Plus tard il dira à ses camarades que c'est parce que c'est son fils. mais eux savent qu'il n'a pas de fils -et d'ailleurs sa réaction n'a pas du tout été celle d'un père! Un père se serait précipité sur le petit corps pour le serrer contre lui une dernière fois. Alors pourquoi?
Le film va donc suivre les tribulations de Saul et son idée fixe, qui va dérober le cadavre, chercher un rabbin qui lui convienne (toute cette liberté de déplacements n'est pas très plausible),
au point de compromettre un projet de rébellion fomenté au sein de son sonderkommando
. [Je suis étonnée qu'aucun journaliste n'ait posé la question: est ce qu'historiquement, il y a eu des exemples de tentatives de rébellion?]. Bref, Saul est cinglé -ou du moins, il a une forme de fanatisme qui finalement le rejette, dos à dos avec les oppresseurs.
Tout cela me gêne, m'empêche d'adhérer, même si je reconnais des qualités à cette oeuvre qu'il faut voir naturellement. Mais le vrai film sur les sonderkommandos reste à faire....