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Eowyn Cwper
120 abonnés
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3,0
Publiée le 2 janvier 2021
Quelques années avant Ashik Kerib, Parajanov et Abachidze ont commis une œuvre un peu moins obscure, là aussi en chapitres et en tableaux, sur le folklore géorgien. C'est un voyage moins têtu et pas encore aussi audacieusement incompréhensible si l'on accepte d'en sortir en se disant "oui, mais encore ?"
Revenant aux sources d'une poésie qui se situe au carrefour historique de plusieurs religions, le film transmet excellemment l'aura d'un peuple des montagnes perdu entre l'infinité russe et les rumeurs chaleureuses du Sud. Un poème de peinture oublié.
Film d'une grande beauté plastique, tous les plans procurent un plaisir esthétique : les couleurs, les costumes, les paysages, l'architecture... Le sujet est tiré d'une légende géorgienne, le récit se suit sans problème. Pour nous, tout est dépaysement et la réalisation est presque parfaite. C'est comme une chorégraphie tout en couleurs ; les personnages sont stylisés, et ont des postures hiératiques, voire théâtrales. C'est un conte poétique bien mis en images par le grand Paradjanov.
Au concours pour l’attribution du titre de plus beau film du monde, La légende de la forteresse de Souram serait un sérieux concurrent. Le film de Paradjanov atteint en effet un niveau de beauté formelle époustouflant, et ce, durant chaque seconde de ses 83 minutes. Le film est découpé en une quinzaine de séquences chapitrées introduites par des cartons qui remplissent le rôle narratif et pourraient suffire à eux seuls à nous permettre d’embrasser le récit de cette légende. Autant dire que «l’histoire» est très simple, mais fourmille de représentations (visuelles et musicales) exposant toute la richesse et la diversité des différentes cultures et civilisations géorgiennes. Nous sommes en présence de véritables tableaux, présentés comme tels (la profondeur de champ est ici bannie), qui sont autant de miniatures animées du Moyen-Age. La richesse des images se passe de commentaires. Regardez des chapitres comme «Le rêve et le pressentiment de la mort», avec la lumière des flambeaux sous des coups de gongs infernaux; ou encore «Comment Zourab imagine l’attaque ennemie» ou comment le cinéaste se sert d’un paysage naturel comme d’une toile animée… Les mots me manquent pour vous faire saisir l’éblouissement esthétique que la vision d’un tel film me procure. Il est un moment où la critique est inutile, elle ne parviendra jamais à faire comprendre ou ressentir au lecteur de quel type d’œuvre elle traite. Elle sert alors uniquement de relais d’information pour «faire connaître». Et je crois que si on s’intéresse au cinéma de la poésie, si on fait partie de ceux qui arrivent encore à s’émerveiller devant une toile ou un paysage, alors il faut voir «La légende de la forteresse de Souram». A ceux qui connaissent le cinéma de Paradjanov, je leur dirai simplement de se jeter sur ce film, peut-être le plus beau, visuellement, du cinéaste. Aux autres, je leur dirai simplement : ouvrez grand vos yeux, vous allez y imprimer des images qui ne s’y effaceront certainement jamais.
Premier long-métrage de Sergueï Paradjanov après ses peines de prison, «Legenda O Suramskoj Kreposti» (URSS, 1984) est une légende géorgienne sur limplication de lindividu dans sa Nation. Cette nouvelle déclinaison légendaire dun style paradjanovien se trouve dénué de laura mystique de «Teni Zabytyh Predkovi» (URSS, 1964) ou même d«Achouk-Karibi» (URSS, 1988). «Legenda O Suramskoj Kreposti» par ses décors similaires, une mise en scène semblable, sapparente à un «brouillon» de lultime uvre du cinéaste. La coréalisation de Paradjanov avec Dodo Abachidzé peut expliquer en partie la froideur de la mouvance. A moins que ce ne soit le propos du sacrifice qui justifie limmobilisme des situations. Et leffet de la masse, communisme hantant, sévit encore pour des plans dune beauté rare dans le cinéma mondiale, de cette beauté qui nappartient quau cinéma de Paradjanov. Mais la raison la plus probable à cet état semble la blessure incurable de la prison sur la sensibilité de Paradjanov. La narration nébuleuse qui ne sait véritablement quau deuxième visionnage peu dérouter le spectateur lambda, plus qu«Achouk-Karibi» même. Effectivement ces deux uvres ont en commun de ne se valoir majoritairement quen tant quinterprétation pour être apprécié. Le sacrifice national dont traite le film prend des voies bien alambiquée pour une magnifique fin à la Paradjanov, magnifique mais un peu tardive.
Toutes les nations du monde ne seraient pas ce qu'elles sont si elles ne possédaient pas leurs us et coutumes, leurs traditions et superstitions. Aux antipodes du simple film documentaire, la forteresse de Souram donne l'occasion de découvrir le folklore et les croyances si particulières de la Géorgie, nation influencée par le monde slave et musulman. L'action se déroule aux temps féodaux, à une époque où la liberté était encore un privilège seulement attribué à la noblesse. Nombreux sont les paysans réduits à l'état d'esclavage qui rêvent d'acheter leur liberté. Cela étant dit, tel n'est pas le thème principal du film qui n'a de vagues accents politiques, sociaux ou nationalistes que bien malgré lui.
Le film est partagé en une dizaine de chapitres (écrits dans cet alphabet géorgien si particulier) qui présentent moins une action qu'un aspect du folklore et de la spiritualité du pays. Ainsi, la structure narrative du film est faite de séquences dont l'enchaînement ne doit rien à une logique de l'action mais à une présentation diversifiée des facettes de la légende: en cela, on peut penser à un polyptique dont le panneau principal serait le fort de Souram, et les saynettes adjacentes, des illustrations de vie quotidienne, d'errance nomade, de rituels etc... On a surtout été sensible à la richesse de la mise en scène qui pourtant ne fait appel qu'a un minimum de moyens (d'où dépassement de la forme et sublime): la danse, la musique, les chants et les arrangements chorégraphiques y tiennent une place importante et ce non seulement pour rendre compte du folklore géorgien, mais aussi pour rappeler que la teneur du film est hautement allégorique. Aussi, le jeu des acteurs tient souvent du théâtre, ce qui renforce le caractère fabuleux du film, d'autant plus que voyageurs, troubadours, marchands et autres évoluent dans des décors de steppes balayées par le vent, ou dans des cités troglodytes sombres de mystères. La magie est partout présente (sorcières et divinations, rêves et prémonitions) et est produite par des moyens simples (découpages, fumée, clairs-obscurs...). C'est alors que le cinéma retrouve toute sa raison d'être, parce qu'une caméra, c'est avant tout une lanterne magique...