En nous faisant suivre Franck, ambulancier à New York, pendant trois nuits successives de service, Martin Scorsese nous immerge, pour ne pas dire nous noie, tant l’ambiance est étouffante, dans les cauchemardesques bas-fonds de « la grosse pomme ». Il n’a de besoin d’une véritable « histoire » ; un simple canevas, celui d’une rencontre, lui suffit pour réaliser un film très noir, dépressif, époustouflant sur la forme et extrêmement riche sur le fond. En suivant Franck dans ses pérégrinations sur son secteur, le spectateur découvre une hallucinante galeries de personnages, parmi les pitoyables déshérités et les malheureux laissés pour compte de la société, et parmi ceux qui ont en charge de « s’en occuper ». Il découvre aussi les tortures intérieures de Franck, ses remords obsessionnels, sa vision mystique de sa mission, son addiction qui lui donne l’illusion de lui permettre de « tenir ». Entrecoupé de quelques moments de respiration ou d’illusion (la superbe scène où les étincelles produites par la scie à métaux deviennent un feu d’artifice sur la ville), ponctué de touches d’humour (noir), le rythme du fim est frénétique, à la hauteur du stress vécu par le personnage, et la mise en scène un exemple de maestria réfléchie. Comme ces deux plans de l’ambulance roulant dans les grandes artères de ville, le premier « couché », symbole de la perte d’équilibre de Franck, le second complètement sens dessus dessous, annonçant l’acte final de Franck, amené à accomplir un acte qui est le parfait contraire de la mission Christique dont il sent investi, sauver des vies. Car le film, qui est un formidable tableau social, est véritablement imprégné d’une dimension mystique portée par plusieurs personnages (les prédicatrices, le dealer de « l’oasis », Mary, en quête de rédemption, et bien sûr Franck lui-même) qui parait être le seul maigre brin d’espoir de l’humanité montrée. Comme l’exprime le dernier plan, magistral de simplicité, empreint de compassion, en forme de « Pietà ».