6/10
En bon “Patient-viewer”, j’ai attendu quelque temps avant de me décider à regarder Mulan, le blockbuster Disney de l’été 2020 devenu produit d’appel de sa plateforme de streaming. Il fallait que je commence à m’amuser des controverses pour pouvoir mieux les évacuer avant la séance: les superbes paysages du Xinjiang avec camps pour Ouïghours effacés numériquement, l’actrice principale qui prône la liberté mais est tout de même bien contente que la police chinoise casse la gueule aux manifestant hongkongais, l’équipe de tournage jugée trop blanche alors que tout le monde fait semblant de ne pas voir qu’il n’y a que des Chinois au casting : toutes ces choses qui me ravissent sur l’avenir du monde et n’ont pas grand chose à voir avec un film de cinéma et encore moins avec un film dont le “message” est dissimulé dans un petit paquet coloré au fond du seau de pop-corn. Parce que l’époque était autre, sans doute, et même si j’avais passé l’âge pour que la nouveauté Disney soit ma séance de l’année, le message féministe me semblait plus fort dans le dessin animé, et ce n’est pas le fait que la jeune guerrière ne peut aujourd’hui plus décemment recevoir de l’amour masculin en récompense des services rendus qui y change grand chose (‘Rebelle’, c’était il y a plus de dix ans, hein. Faudrait voir à s’améliorer question “coup de pied dans la fourmilière"). Donc, voilà, il ne reste de Live-action Mulan que ses qualités et ses défauts proprement filmiques et si ce n’est pas vraiment une réussite, ce n’est pas franchement un ratage non plus. La Firme a souhaité concocter un authentique film de sabre, un Wu xia pan comme on dit dans les milieux autorisés, qui puisse ne pas rougir de la comparaison avec les classiques asiatiques du genre, et a donc décidé d’expurger l’adaptation de tous ses aspects les plus enfantins : exit donc Mushu, les Ancêtres querelleurs et les bras-cassés du régiment de Mulan q’on retrouvait dans le dessin animé. Si l’esprit général du film est évidemment “occidentalisé” (pas en raison de références inopportunes mais plutôt à travers une narration linéaire, des dialogues courts qui visent l’efficacité et des personnages unidimensionnels), la surprise provient du fait que Disney n’a pour autant cherché à noyer ce simplisme de fond sous le gigantisme de la forme : batailles et effets spéciaux restent assez mesurés, à une échelle humaine, au point qu’on se demande un peu où est passé le budget somptuaire...et c’est plutôt à mettre au crédit du film. . ‘Mulan’ est donc un produit hybride, qui s’efforce tant bien que mal de concilier deux traditions de cinéma très différentes, pour un résultat pas particulièrement éblouissant qui fera sans doute se hérisser les exégètes du film d’action chinois...mais ce n’est pas non plus “La grande muraille” : au moins ‘Mulan’ témoigne-t-il d’un minimum de volonté de respecter les codes du Wu xia pan. A bien y réfléchir, s’il est loin d’égaler la furia des meilleurs spécimens du cinéma HK ou même des jalons du genre posés par Ang Lee ou Tsui Hark, en tant que simple film d’aventures épique, il s’avère finalement plus digeste et satisfaisant que le commun de la production Wu xia pan contemporaine.