Je reconnais que le titre du film et le résumé de l’intrigue ne puisse pas donner très envie, au premier abord. L’histoire d’une séparation qui se passe mal, essentiellement à cause de l’argent, ce n’est ni très fun, ni très glamour, et surtout, c’est tout sauf original ! Mais le film de Joachim Lafosse fonctionne très bien, et d’abord grâce à un casting irréprochable. Si l’on excepte des seconds rôles très peu mis en valeur (Marthe Keller en belle-mère plutôt conciliante et les petites filles très naturelles et très mignonnes), l’intrigue ne se noue qu’entre Berénice Bejo et Cédric Kahn. Bérénice est très touchante dans ce rôle plein de non dits et de silences. En apparence sure d’elle, maitresse de maison et de sa vie professionnelle, elle est désemparée devant cet homme qu’elle a aimé et qu’elle ne supporte plus et que pourtant, au fond, elle aime surement encore. Dans certaines scènes, comme celle de « Bella », elle m’a donné les larmes aux yeux tellement j’ai été touchée par la sensibilité de son jeu, tout en délicatesse, tout en fragilité. Cédric Kahn est très juste également, c’est un acteur que personnellement j’aimerais voir un peu plus souvent sur l’écran dans des premiers rôles, comme ici, car il a une vraie présence, un vrai charisme. Il donne corps à Boris, un homme maladroit, empêtré dans ses problèmes d’argent, toujours amoureux, mais qui par la force des choses et des évènements devient un problème pour celle qu’il a aimé pendant 15 ans, et ça le dépasse, ça le met en colère aussi, une colère intérieure, rentrée, qui n’explose que par intermittence. Joachim Lafosse filme cette famille au plus près, la caméra ne sort quasiment jamais de cette fameuse maison qui est le point central de cette séparation. C’est une sorte de huis-clos qui n’en n’est pas vraiment un. La caméra ne sortira qu’une fois, à la faveur d’un évènement dramatique (presque) imprévisible, mais c’est une exception. C’est un parti pris intéressant, on a l’impression de faire partie de cette cellule familiale et de souffrir aussi un peu avec eux. Lafosse sait aussi très bien placer sa caméra, en jouant sur les premiers et seconds plans mais surtout en optant très souvent pour le hors champs. Celui qui parle n’est pas à l’écran, la caméra se focalise sur l’autre, sur celui qui écoute, sur celui qui subit. C’est une technique qui fonctionne redoutablement bien quand on a à faire à deux acteurs de ce calibre, ça leur permet de mettre en valeur leur jeu de façon différente et subtile. Le scénario de « L’économie du couple » est assez simple : « Je veux la moitié de la maison pour pouvoir partir », « Pas question, tu n’en auras qu’un tiers », « Et bien dans ces cas là je reste ». Quand le film commence, la situation de cohabitation est déjà ancrée, on prend le train en route en quelque sorte. Mais plus on avance dans le film, plus on se rend compte que cette histoire de maison n’est qu’un point de fixation qui dissimule tout le reste. Marie et Boris se dispute sur l’argent mais c’est un prétexte : le désamour entre eux est déséquilibré et c’est bien cela qui fait souffrir. Marie a arrêté de l’aimer et Boris ne l’accepte pas, ne le comprends pas tout simplement, et ça le rend agressif. Boris l’aime toujours et Marie est mal à l’aise devant cet amour qui n’est plus partagé, et comme elle est mal à l’aise, elle devient agressive. Finalement, l’argent n’est qu’un prétexte pour éviter de se dire ces choses là… Cela dit, il y a aussi entre eux quelque chose que les oppose, en filigrane : ils ont des origines sociales différentes, elle a fait un héritage, elle est professeur, c’est une « intellectuelle ». Lui est un artisan au chômage, un « manuel » d’origine modeste, probablement même très modeste. Tant que l’amour est là entre eux, cela n’a pas d’importance mais lorsqu’il s’étiole, cette dualité revient comme un arrière gout désagréable. Le film ne fait qu’effleurer cet aspect des choses, mais dans une scène particulièrement, celle des « comptes faite par le notaire », l’arrière gout se fait nettement plus fort. On peut trouver que « L’économie du couple » tire un peu en longueur, même si je ne me suis pas ennuyée je reconnais que, la situation étant entre eux sans véritable issue, le film s’essouffle au bout d’un moment. On devine comment cela va finir, c’est imparable et une toute autre fin aurait parue incongrue. C’est vrai qu’on aurait aimé aussi un peu plus de scènes fortes, comme celle du dîner entre amis (un sacré cauchemar pour les amis en question !) qui distille le malaise de façon presque palpable. C’est une scène réussie dans le sens où elle matérialise très bien le fait que dans une séparation, on est à la fois le bourreau et la victime de l’autre. « L’économie du couple » est un film intéressant, plein de finesse et de subtilité, qui manque peut-être un peu de rythme et que l’on peut trouver quelquefois un tout petit peu bavard mais qui, on doit bien le reconnaitre, ne rate pas sa cible. Grace à un réalisateur très à son affaire, à deux comédiens plein de finesse et à un scénario qui laisse la part belle aux sous-entendus et à l’inconscient, « L’économie du couple » est un film qui parle à l’intelligence et à la sensibilité des spectateurs, ce n’est pas si fréquent.