C'est certes un documentaire, si l'on veut, mais un peu comme ceux de Resnais quand il était jeune, c'est avant tout une œuvre d'auteur, un objet filmique surprenant qui ne pourra pas servir de base à un débat télévisé. Pas une œuvre militante non plus, ce qui ne l'empêche pas d'être un film politique au sens fort : inscrit dans la cité et dans la vie des hommes. Une sorte de poème de l'usine, et à ce titre, le film m'a beaucoup intéressé.
Comme dans la lecture d'un poème, il ne s'agit pas de comprendre, mais de se laisser porter, de sentir, de ressentir, la peine des hommes, les dos et bras cassés, le bruit, l'incompréhension du sens de ce que l'on fait (l'usine fabrique des pièces détachées pour véhicules automobiles, mais à aucun moment, on ne voit le produit fini, c'est-à-dire l'automobile, et la, manière dont la caméra s'attarde sur le travail de production m'a fait irrésistiblement penser aux "Temps modernes" de Chaplin, ce type de travail à la chaîne na que peu changé depuis quatre-vingts ans), mais pourtant chacun essaie de faire au mieux et de conserver son humanité, le travail de nuit et sa pénibilité, et les moments de rêve où l'on s'absente du côté répétitif (ah ! les bienheureuses pannes qui permettent des instants de repos, de silence, et de s'évader du boulot).
Parallèlement à la vision des ouvriers usinant ces pièces, un musicien, Nicolas Frize, est en résidence dans l'usine pour composer à partir des sons qu'il prélève et des mots qu'il entend une sorte de cantate, dont on voit et entend quelques moments de répétition, puis un bout de représentation à la fin du film. Sans bruit, si j'ose dire, sans aucun commentaire explicatif, les auteurs laissent le spectateur interpréter eux aussi ce qu'ils voient sur l'écran. On entend certes les ouvriers commenter leur travail ou l'idée qu'ils s'en font, celle qui leur permet de garder une certaine dignité. On entend aussi le musicien à la recherche des sons pour la création musicale. C'est donc bien un film sur le travail.
Mais ici,aucun didactisme, aucune leçon professorale : rien que la fluidité des images, en plans fixes devant une machine ou en déambulations dans l'usine ; on retient la beauté, beauté et fierté des ouvriers et des ouvrières au travail, beauté des mouvements du musicien qui tâtonne, beauté des répétitions musicales. Oui, c'est un film d'une grande beauté, et qui ne cache pas pour autant la peine ni même la détresse d'une possible fermeture et du chômage qui s'ensuivra. Très belle soirée donc. C'est ce cinéma-là qu'il faut défendre, et non pas les innombrables bêtises qu'on projette, sous prétexte de nous divertir !