La vengeance est un livre qui se dévore froid
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Une galeriste reçoit le manuscrit du prochain roman de son amour de jeunesse perdu. Alors qu'elle ne se retrouve plus dans ce qu'est devenu sa vie de privilégiée, elle s'enfonce avec fascination dans l'histoire d'une famille qui bascule brutalement dans l'horreur pendant un voyage nocturne sur une autoroute déserte. Pas pour logntemps. Le récit suit en premier lieu son quotidien (couple pas très en forme avec mari jamais là), contacts professionels sans intêret à sa galerie, et sa lecture inquiète du livre: une histoire de meurtre aveugle qui lui est étrangement dédicacé. Alternent ensuite deux récits imbriqués autour de sa lecture, celle de l'illustration à l'écran du roman, comme un film dans le film, avec les excellents Michael Shannon en Sherif Texan Badass et Jake Gyllenhaal dans le rôle principal du roman et de l'ex boyfriend d'Amy.
En parallèle du bouquin, elle se rejoue le fil de sa rupture avec l'auteur, qu'elle n'a pas revu depuis 20 ans.
Commentaire sur les sources de l'art, l'usure existentielle, l'amour fragile et rare, le script conjugue élégamment une étude de mœurs avec le raffinement grotesque de Sorrentino, et la brutalité sordide du genre survival, puis revenge movie à la Délivrance (sans entrer dans la torture explicite, heureusement pas de ça ici), sur deux niveaux de temporalité.
Tom Ford surprend en racontant cette histoire de trahison amoureuse avec la précision froide d'un David Fincher et l'obscurité dérangeante un peu planante de David Lynch (on pense parfois à Lost Highway en l'occurence), sans jamais succomber au jeu des comparaisons.
La BO splendide vient roder avec sa ritournelle orchestrale autour d'Amy Adams dans son immense maison vitrée de designer, qui semble de plus en plus grande et vide à mesure qu'elle glisse dans sa nostalgie cupabilisatrice.
Pour certains la tension entre les décors clinique et chic de l'environnement d'Amy, limite claustros, toujours blanc ou noir (coincidence? je ne crois pas) et les plaines texanes poussiéreuses pourra sembler trop évidente, les allers retours du récit trop redondants, ou rebutés par le style perfectionniste du réalisateur qui étale quand même des tartines de merde humaine sur son beau clavier de piano rutilant. Pour les autres, l'atmosphere maitrisée envoutante, les echos entre les trois récits qui se répondent impeccablement, et un casting d'acteurs excellents apprécieront se laisser emporter dans ce thriller classique d'une simplicité désarmante, dont les faux semblants de désincarné de la protagoniste laisseront un goût amer. Et bouleversant.
Mention spéciale pour le doublé de la meilleure ouverture/fermeture de film 2017 avec ces pompom girls obèses, strass et paillettes, et ce dernier plan sur les beaux yeux d'Amy Adams, dont le regard perdu vous hantera longtemps.
Un film noir limpide, vénéneux, et impitoyable.