Dans La Flûte enchantée de Mozart, l'aria de la Reine de la Nuit est devenue l'une des plus cultes de la musique classique, non-seulement pour la technique parfaite qu'il faut avoir pour la chanter, mais aussi par sa force lyrique et narrative, sa noirceur et sa colère. Je me suis toujours demandé si quelqu'un arriverait à restituer réellement cette grandeur à l'écran, que ce soit dans un film, une production retransmise à la télé, ou autre. Et pourtant, en attendant patiemment dans mon siège que le nouveau film de Tom Ford commence, j'étais loin d'imaginer qu'une telle sensation puisse m'envahir. Alors bien sûr rien à voir avec l'histoire de La Flûte enchantée, mais les déboires des “Animaux Nocturnes” imaginés par Ford, et sa créativité, sa beauté sans limite, se rapprochent étroitement de la perfection, tutoyant le génie d'un véritable artiste, tel le Mozart du cinéma de ces années 2010.
Depuis Single Man en 2010, nous n'avions pas revu Tom Ford revenir derrière la caméra. Le styliste continuait à s'épanouir dans la mode mais nous laissait dans une véritable attente… Car après ce prometteur Single Man (qui pouvait paraître toutefois brouillon dans son écriture et un peu trop classieux) on avait hâte de découvrir le nouveau projet de couturier américain. Et quelle surprise de voir débarquer Tom Ford à la dernière Mostra de Venise avec un film hybride, switchant avec facilité du drame au thriller, lui valant même comme récompense un lion d'argent, c'est-à-dire le prix du jury, un jury mené par Sam Mendes lors de cette 73eme édition.
Nocturnal Animals est l'adaptation de Tony and Susan, roman d’Austin Wright, paru en 1993. Toutefois, Tom Ford a retravaillé le scénario afin d'obtenir l'histoire qu'il souhaitait réellement mettre en scène. Et franchement c'est très réussi ! L'histoire de Nocturnal Animals est captivante car le film peut se targuer de proposer deux narrations avec quatre niveaux de lecture possibles. Avec son casting 5 étoiles, le récit devient d'autant plus passionnant ! Jake Gyllenhaal (bien plus intéressant que devant la caméra de Denis Villeneuve) signe ici son rôle le plus fort depuis le Zodiac de David Fincher, voire même la révélation Donnie Darko. Tom Ford a tenu à ce qu'aucun costume ne soit signé de sa marque, arguant que Nocturnal Animals n'était pas un spot télévisé. Pourtant Amy Adams n'a jamais été aussi mise en beauté que sous le regard de Tom Ford et propose une interprétation toute-à-fait convaincante. On retrouve aussi le génial Michael Shannon et le prometteur Aaron Taylor-Johnson. Quand à Karl Glusman, après Garpar Noé et Nicholas Winding Refn, il fait encore le bon choix en proposant un second rôle contenu sous la direction de Tom Ford.
Mais Nocturnal Animals c'est avant-tout une gigantesque claque visuelle ! Tout est réussi : c'est bien cadré, superbement éclairé par Seamus McGarvey, la photographie et les décors sont remarquables, et en même temps, le film laisse place à une certaine fragilité qui lui donne tout son charme, à l'instar de la superbe musique (pleine de classicisme) composée par Abel Korzeniowski !
Avec Nocturnal Animals, Tom Ford souhaitait que ce film soit avant-tout une expérience visuelle avant même qu'il ne raconte quoique ce soit ! À ce sujet il déclare : “Le long-métrage est un exercice résolument visuel, et je pense que les mots et les dialogues ne devraient servir qu’à faire évoluer une fable essentiellement visuelle”. Et c'est exactement cela ! Avec Nocturnal Animals, le spectateur est plongé dans une sorte de cauchemar, une passerelle entre l'imaginaire et la réalité, où chaque plan est un tableau, et où chaque tableau trouve son écho dans un autre ! Avec cette seconde réalisation Tom Ford montre l'isolement d'un couple (soit par la force, soit par le désamour) et la destruction de l'humain à travers plusieurs modes opératoires (psychologique, physique, ou même par le biais d’une catharsis littéraire)… Parmi les quelques défauts du film, on peut reprocher parfois à Nocturnal Animals une certaine rigidité dans la mise en scène et quelques dialogues un peu pompeux qui appesantissent certaines séquences.
Tom Ford livre ici un grand film, captivant de bout en bout, au montage intelligent et d'une beauté incroyablement mystérieuse ! « Tu devrais écrire sur autre chose que sur toi-même » conseille le personnage d’Amy Adams à celui de Jake Gyllenhaal… Et c'est bien ce que semble avoir fait le réalisateur américain avec ce second long-métrage. C’est éblouissant, à la fois brutal et classieux... Bref, c’est jouissif ! À travers Nocturnal Animals, Ford assure encore une fois qu'il est un homme d'une grande classe, mais prouve aussi qu'il est un remarquable directeur d'acteur et capable de créer une complète œuvre cinématographique.
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