Une femme, obèse et nue, danse devant un rideau rouge de théâtre. C'est la scène d'ouverture de ''Nocturnal Animals''. Dans cette scène, beauté et dégoût se mêlent et la fascination naît chez le spectateur. La laideur émane bien sûr de ce corps difforme filmé dans sa totalité. Mais la beauté est aussi là, car Tom Ford filme en très gros plan les ondulations de ce corps en mouvement sur la superbe musique d'Abel Korzeniowski. Ce générique, sans doute le plus original de l'année, semble annoncer un film très proche de l'univers de David Lynch (comme le souligne certaines critiques) car l'étrange se mélange à la beauté et à la laideur. Admettons-le, ce générique est quand même fort différent du film qui va suivre et de l'univers de Lynch.
L'histoire est, au début, assez emberlificotée : Susan Morrow est une galeriste à la mode. Un jour, elle reçoit le manuscrit de son ex-mari Edward, s'intitulant ''Nocturnal Animals''. Le film va alors alterner les séquences se passant dans le livre (on l'on suit Tony Hastings, dont la femme et la fille furent violées et tuées), les séquences du réel (la réaction de Susan à la lecture du livre) et les flash-backs (qui narre la rencontre entre Susan et Edward).
On repproche souvent à Tom Ford (dont c'est le 2ème film, sept ans après ''A Single Man'') de réaliser des films vides et trop esthétisants. Mais c'est précisément la beauté du film qui, au premier abord, frappe. Et la sensation de vide s'explique et par le deuil de George Falconer dans ''A Single Man'' et par la vie morne et terne de Susan dans ''Nocturnal Animals''. Au contraire, ''Nocturnal Animals'' crée une incontestable continuité dans l'oeuvre du couturier. ''A Single Man'' racontait une histoire simple (le deuil d'un homme qui a perdu son amant) mais en la rendant abstraite et brumeuse (presque cotonneuse), ''Nocturnal Animals'' opère l'inverse : le pitch est plus compliqué mais la manière dont il est traité est clair et concret. Ce film là est en effet plus classique que le premier film de Tom Ford, plus froid aussi : la nuit du Texas et la froideur de la maison de Susan a remplacé la chaleur et l'aridité de ''A Single Man''. Pour autant, ''Nocturnal Animals'' est un film infiniment complexe. C'est un film clair à comprendre, mais beaucoup plus délicat à analyser. S'y trouve pêle-mêle dénoncés la froideur du monde de la mode et le monde rigide dans lequel vit Susan. Tout cela est mis en parallèle avec une intrigue policière. On devine qu'il y a un lien entre la vie de Susan et la fiction écrite par Edward. Le lien forme le ciment du film : il s'agit du remord, le remord qui vit en chacun des personnages principaux . Le remord, où plutôt le sentiment d'être passé à côté de ce qu'offre la vie. Ce sentiment envahit Susan qui regrette d'avoir rompu avec Edward, dévaste Tony qui n'a pu sauver sa femme et sa fille et mine l'inspecteur Andes, rongé par le cancer. Ce remord apporte donc une grande mélancolie et tristesse au film. Film où tous les êtres sont marqués par ce qui aurait pu être et ce qui n'est pas. Là encore, on peut faire une comparaison avec ''A Single Man'' où Falconer ne pensait qu'à son amant disparu. Quoiqu' il en soit, le travail de Tom Ford peut se rapprocher de celui de Wong Kar-Wai : la sensualité, l'image et les sentiments dominent l'histoire. ''A Single Man'' était d'ailleurs un film très influencé par le réalisateur hongkongais (on retrouvait au générique le compositeur de Wong Kar-Wai : Shigeru Umebayashi).
''Nocturnal Animals'' bien que moi abstrait et plus froid que ''A Single Man'' trouve son essor émotionnel à la fin du film. Entre temps, il nous aura présenté des êtres dévorés par la tristesse, insomniaques et nocturnes. Des êtres qui, au contraire du titre du film (et du livre d'Edward) sont profondément humains. Tom Ford confirme ainsi qu'un couturier chic peut faire du bon cinéma !