Styliste de renom ayant propulsé l'entreprise Gucci au sommet dans les années 90, Tom Ford est un esthète au goût étrange mais envoûtant qui affirme une identité visuelle forte. Le voir donc se laisser aller à ses envies de cinéma pour son premier film en 2009 était quelque chose d'assez intriguant. Surtout que son A Single Man s'est très vite imposé comme une œuvre à la maîtrise absolue et une très belle proposition de cinéma. De quoi être curieux quant au tournant que prendrait la carrière filmique du cinéaste. Il aura presque fallu attendre 8 ans pour que celui-ci daigne retourner derrière la caméra mais il a l'intention de le faire en marquant les esprits. Réunissant un casting phénoménal et promettant un thriller tortueux et déroutant au style affirmé, tout était réuni pour faire de Nocturnal Animals une des grosses attentes de ce début d'année 2017. Mais les attentes sont malheureusement synonymes de déception, Ford peine ici à marquer l'essai.
Au niveau de la forme, il ne fait aucun doute que l'on est face à un film de Tom Ford, on retrouve le maniérisme obsessionnel du cinéaste dans la construction très symétrique de ses plans. Visuellement le tout est fabuleux, véritable ballet de forme et de couleurs qui offre quelque chose de totalement envoûtant. Nocturnal Animals transmet la laideur par le prisme du beau et construit par ses visuels des images paradoxales, où l'on se retrouve constamment subjugué par la beauté des plans mais révulsé par ce que ceux-ci montrent. Le beau et le laid ne forment qu'un au point que l'on s'interroge sur leurs notions même, soulignés par un générique d'ouverture étrange et fascinant qui s'impose comme une des audaces les plus marquantes vues dans un film ces dernières années. Sur ça, la réalisation flirte souvent avec la virtuosité, jonglant à merveille entre un univers de paraître froid et clinique et un redneck movie crade à la violence sèche tout en parvenant habilement à éviter l'exercice de style. Sur le visuel, les deux univers dépeints par Nocturnal Animals s'entrecroisent et se répondent à merveille, aidés par une photographie somptueuse de Seamus McGarvey qui joue brillamment avec les contrastes de couleurs pour une image léchée et pleine de nuances. Les compositions musicales d'Abel Korzeniowshi pleines de charme et de sensibilité accompagnent aussi parfaitement le récit et on ne déplorera qu'un montage abrupt qui souligne le manque de subtilité de l’œuvre. Les similitudes entre le livre que lit l'héroïne et ce qui lui est arrivé dans son premier mariage sont souvent grossièrement mis en parallèle et le film à la fâcheuse tendance d'entrecouper les scènes chocs du livre par les réactions exagérées du personnage d'Amy Adams, enlevant toute la force de ces passages qui ont pourtant une gestion de la tension proche de la perfection. La première scène au sein du livre est absolument tétanisante.
Mais là où le bât blesse c'est dans l'écriture emplie de maladresses. La partie roman est plutôt bien gérée, elle a ses clichés et apparaît un peu classique mais se montre efficace car elle possède des personnages forts, complexes et qu'on prend plaisir à suivre. Ce qui se passe dans la réalité sera par contre plus problématique. Déjà, le film juge que jongler entre la réalité de l'héroïne et le livre de son ex-mari n'est pas suffisant et rajoute des flashbacks sur leur relation qui viennent alourdir le récit. Il veut tant en montrer et en expliquer qu'il desserre la force de son œuvre et cède aux développements plan-plan et parfois un peu niais. Et l'ensemble n'est pas aidé par certains dialogues tout droit sortis d'un article d'Art de séduire du style "Les 7 phrases pour la faire tomber amoureuse de vous". Un enchaînement de phrases toute faites et sans émotions qui tranchent avec l'aspect ultra maîtrisé de la forme. On sent un certain laxisme dans l'écriture qui par excès de confiance se croit plus intelligente qu'elle ne l'est. Car lorsqu'elle va tout dire sur le couple au centre du film, elle va se montrer bien trop nébuleuse sur le propos en lui-même, pouvant même laisser croire à une certaine misogynie. Ce n'est évidemment pas le cas, car si l'on pousse la réflexion on se rend compte que le propos est savamment ambigu et même plutôt vrai et audacieux, l'individu n'est qu'un être médiocre et apeuré qui fuit la potentielle lumière du bonheur pour se complaire dans la noirceur de son malheur. D'où le titre du film mais dans sa sur-explication de certaines choses et son manque total d'égard pour d'autres, Nocturnal Animals ne pousse pas forcément le spectateur à faire la démarche de cette réflexion. Le film se veut à la fois accessible et exigeant et place le public dans une fausse zone de confort qui va le faire se référer uniquement à ce qu'il voit et ne va pas chercher à réfléchir à ce que l'on lui montre. L'aspect symbolique paraît du coup évident alors qu'il est biaisé par les maladresses de son traitement, même si toutes les clés sont là pour comprendre le propos. L'attention étant portée ailleurs on peut facilement se dire, à tort, que l'on en n'a pas besoin.
Nocturnal Animals en devient donc un film qui se tire lui-même une balle dans le pied par excès de confiance. L’œuvre reste une réussite car l'on reste subjugué par son ambiguïté audacieuse et envoûtante qui est totalement sublimée par une forme fantasmagorique. C'est un récit vénéneux au propos intéressant qui, même s'il est accompagné d'une mise en scène sophistiquée et d'un excellent casting, est parfois maladroit dans sa construction. Les petits défauts s'accumulent, le pire étant le manque de subtilité et les dialogues ratés, au point que le statut de grand film, dont il avait pourtant le potentiel, échappe à Nocturnal Animals. Pour autant l’œuvre reste efficace et a ses moments de pure virtuosité notamment à travers le jeu parfois habité de ses acteurs. Même si certains restent dans leurs registres, comme Michael Shannon et Amy Adams, tous deux très bons mais dans les prestations graves qui les caractérisent. C'est Jake Gyllenhaal, flamboyant dans un rôle qui lui fait avoir plusieurs facettes qu'il maîtrise toutes à la perfection, mais surtout Aaron Taylor-Johson qui impressionnent. Ce dernier offre une performance phénoménale qui fait totalement changer d'avis sur les capacités de l'acteur qui avant ça manquait de charisme et de profondeur. Mais ici, il est grandiose dans sa prestation vicieuse et animale au magnétisme fascinant.