Dans la lignée des « Bienvenue chez les Ch’tis », « Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? » et autre « Famille Bélier », cette « Vache » ne cherche pas à tromper le client : elle entend clairement surfer sur cette vague qui rapporte gros en ce moment : le « feel good movie » à la française. A force d’être répétée, la recette commence à être connue : en gros il suffit de poser une bonne atmosphère de nostalgie, d’accumuler les images d’Epinal, et surtout de faire rire en abordant (et en confirmant au passage) les quelques bons vieux préjugés et autres caricatures qu’on se fait de la France. Alors après – attention – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne suis pas en train de faire à ce film un procès d’intention comme pourrait le faire un petit bourgeois bien pédant qui dénigre systématiquement les films qui se veulent populaires et accessibles à tous. Oh que non ! Moi le premier, je suis très client des films qui savent faire rire simplement, pourvu que je me reconnaisse dans la démarche de l’auteur. Or, il est bien vrai qu’au premier regard, il est fort difficile de ne pas voir dans le film de Mohamed Hamidi une œuvre pleine de bienveillance et d’humilité. Pour le coup, il apparaîtrait même inutile d’en dire davantage pour tous ceux qui n’attendent que ça de cette « Vache ». Car oui, si votre but est seulement de voir un film sympa, sans prétention et qui fait rire simplement et gentiment, alors il m’apparaît évident que « la Vache » est faite pour vous. J’en veux pour exemple mon expérience de projection : c’était une séance de « dernière chance », la salle était blindée, et les rires spontanés et généreux pleuvaient régulièrement. Moi-même je me joignais d’ailleurs régulièrement aux rires unanimes de la salle. En cela, même si ce film n’avait rien d’original et qu’il se contentait juste de faire le métier, simplement et honnêtement, je m’étais mis en tête que le minimum serait alors de lui mettre trois bonnes étoiles. C’était ce que semblait me dicter l’honnêteté. Seulement voilà, maintenant que je rédige ces lignes quelques jours après avoir vu ce film, je me dois bien d’avouer que ce qui me revient davantage en tête, c’est tous ces détails qui m’ont dérangés ; ces détails tellement nombreux qu’ils constituent finalement presque à eux seuls l’intégralité du film ; ces détails qui me font me dire après coup que, tout sympathique qu’il soit ce film, il n’en reste pas moins aussi un film assez avilissant, voire même presque malsain. Parce que oui, à vouloir nous refiler la banane à tout prix, cette « Vache » arrondit tellement les angles de son portrait de la France qu’elle finit par nous offrir le visage d’un monstre assez effrayant. Alors autant je veux bien qu’on veuille mettre de côté le moche pour faire en sorte qu’une fois enfin on ne voit que le joli, mais là le fantasme est tellement poussé à l’extrême qu’on en tombe en plein déni de la réalité. Ainsi, quand le héros Fatah débarque à Marseille avec sa vache et qu’il subit un contrôle douanier, il tombe sur des douaniers sympas, souriants et respectueux (…et quiconque a déjà eu la chance de subir des contrôles de la douane pourra vous confirmer cette idée qu’effectivement, en toutes circonstances, les douaniers sont systématiquement sympas, souriants et respectueux). Quand ce même Fatah se balade ensuite dans toute la région PACA (région qui est d’ailleurs reconnue internationalement pour son hospitalité légendaire, surtout à l'égard des étrangers) tout le monde lui parle, lui sourit, lui rend service, l’héberge… Quand il tombe sur le gendre de son frère, immigré à Marseille, il incarne forcément le modèle de la mixité culturelle, modèle que tout le monde ne manque pas d'adorer, même ceux dont on nous avait laissé supposer qu'ils pourraient y être réticients. Ainsi, que Fatah rencontre des flics, des agriculteurs en colère, des nobles (?), ou bien encore des journalistes, tout le monde finit par tomber sous son charme et tout le monde finit par l’appuyer dans son aventure. Et quand on twitte sur le pauvre Fatah, ce n’est jamais pour se moquer : non jamais ! Et quand les grands médias de masse reprennent l’événement à leur compte, c’est toujours avec une immense bienveillance et une sympathie bien réelle ! D’ailleurs, à la fin – attention spoiler totalement inattendu –
tout le monde est bien heureux de se retrouver réconcilié dans cette bonne humeur commune qu’on partage tous sans effort
. Alors personnellement : je voudrais bien adhérer à ce fantasme là et me laisser bercer l’espace de deux heures par cette douce illusion. Après tout, où serait le mal ? Eh bien justement, moi quand on m’invite à regarder ma situation, mon pays, mon actualité à travers un prisme « bisounours », niant systématiquement ce qui pourrait déranger, et renvoyant à tout bout de champ un message qui consisterait à dire : « mais finalement tout est beau, finalement tout est gentil, finalement les nobles ne sont pas puants, finalement les Français ne sont pas racistes, finalement les médias et les institutions n’ont rien d’ambigus dans leurs actions et dans leurs paroles », moi je trouve qu’au final on nous invite dans une mécanique malsaine. Sans le vouloir, ou pas, ce film nous invite l’air de rien à nier la réalité. On nous invite à croire qu’il suffit de regarder les choses selon un autre angle pour que soudainement les problèmes disparaissent… Démarche étrangement paradoxale d'ailleurs lorsqu'en même temps, le film nous invite à apprécier les étrangers que lorsqu'ils correspondent à cette bonne vieille vision du temps des colonies ou bien encore quand on cherche à stimuler notre amour de la France à travers des images de bonnes ripailles menées chaleureusement pas très loin du château du maître... Alors est-ce que je suis en train de dire là que même la plus gentille des comédies doit s’interdire d’arrondir les angles pour offrir un peu de gaieté et un peu de fraîcheur ? Personnellement, ce n’est pas ce que je dis. Seulement je pense qu’il y a une différence entre faire une comédie sympathique et touchante qui n’élude pas les sujets mais qui parvient à les traiter simplement et sincèrement (et « Intouchables » l’a très bien démontré), sans rentrer dans une démarche malsaine de propagandiste maladroit. Or, et c’est bien là ce que je regrette, à prendre du recul sur cette « Vache », il est difficile de ne pas lui reprocher cet écueil là. Dommage…