Je voulais voir ce film. Pour avoir travaillé et contribué, il y a 15 ans, à la mémoire textile (alsacienne), et en avoir gardé l'intérêt et le goût des témoignages d'ouvrières et d'ouvriers. Parce que je suis une inconditionnelle de Sandrine Bonnaire, depuis ses premiers pas dans le cinéma. Il y avait donc, dans le film de Gaël Morel, matière à me séduire : une actrice qui a su faire preuve de justesse et de subtilité son jeu, et un sujet exceptionnellement abordé en littérature comme au cinéma : choisir de se délocaliser avec son entreprise.
Mais, l'intérêt du sujet ne fait pas tout. G. Morel nous dit avoir voulu valoriser les ouvrières du textile, en montrant leur amour du métier, leur solidarité. Désolée, mais je n'ai rien vu de tout cela. J'ai vu des ouvrières assujetties à leur machine, incapable de lever le petit doigt, quand l'une d'entre elles tombe dans la travée, épuisée par les châtaignes que lui envoie sa machine à coudre mal entretenue. En cause ? L'omertà que fait régner la contremaître, à qui toutes doivent allégeance. Je n'ai pas perçu non plus l'évolution de l'état d'esprit dans lequel se trouve le personnage joué par Sandrine Bonnaire. Elle semble porter un masque qui la plombe. Je l'ai senti fatiguée, épuisée, déprimée, quasiment du début à la fin du film, au point de m'inquiéter pour la santé de la comédienne. Je n'ai pas retrouvé, à quelques exceptions près, quand elle sourit, les nuances de jeu auquel elle m'avait habituée.
Pour autant, j'ai pris du plaisir à voir les deux sujets secondaires traités par le réalisateur. Les deux duos mère/fils que forment Sandrine et son fils d'une part, la Marocaine et son fils chez qui elle loge d'autre part, sont particulièrement intéressants, en donnant à voir deux formes d'émancipation féminine et, peut-être, maternelle. En petites touches, on perçoit également le racisme inversé dont cette femme française est l'objet lorsqu'elle arrive au Maroc, non pas pour faire du tourisme mais pour travailler. Dommage ! Les sujets abordés et les comédien/nes valaient mieux que ce "prendre le large" qui manque d'ampleur.