Il savait que c’était impossible, alors il l’a fait. C’est un peu ce que l’on pourrait dire de Pierre-François Martin-Laval (alias Pef) quand on voit ce "Gaston Lagaffe". Il savait qu’il s’attaquait à un monument, mais pourtant, il s’est lancé à l’assaut de ce sommet inatteignable avec son équipe habituelle. Seulement, ce qui différencie Martin-Laval d’un bon nombre de réalisateurs qui auraient été à sa place, c’est son absence d’ambition. De l’ambition, il en a, bien sûr, mais juste assez pour que ce soit une qualité, et pas encore trop pour que cela devienne un défaut. Sa seule ambition, finalement, c’est de faire passer un bon moment à son public. Et même si, comme à son habitude, le public français va râler parce que c’est la seule chose qu’il sait faire, pour le spectateur qui s’attaque sans préjugés à sa nouvelle comédie, le but est atteint.
Pour diverses raisons, on ne pourra pas faire de ce "Gaston Lagaffe" un grand film, mais une comédie sans prétention qui assure parfaitement son lot de divertissement. Indéniablement, ce qui frappe le plus de prime abord, c’est la fidélité de l’acteur-réalisateur à l’univers de Franquin. Pef aime ce qu’il fait, et on le sent. C’est bien cela qui le sauve et rend à la fois l’artiste et son film si attachants. Par un travail extrêmement rigoureux, les costumières Brigitte et Marie Calvet parviennent à donner vie aux personnages de Franquin avec une étonnante réussite. La réussite, on la doit également, bien évidemment, à un casting parfait, au sommet duquel Théo Fernandez réussit à camper un Gaston Lagaffe incroyablement fidèle à l’image qu’on s’en était fait en lisant la bande dessinée. Si, en revanche, Pef crée un Prunelle assez neuf par rapport à celui de Franquin, son duo avec Théo Fernandez nous offre quelques savoureux moments. D’autant qu’en tant que réalisateur, sa grammaire visuelle habituelle, si proche de la bande dessinée, fonctionne encore une fois parfaitement, proposant un aspect cartoonesque assez sympathique.
Le problème principal, finalement, ne vient pas du film en lui-même, mais de son intention de départ : bien sûr, l’univers de Franquin est pour ainsi dire intraduisible à l’écran. Et malgré le travail impressionnant de l’équipe de Pef pour le rendre crédible, quelques failles subsistent. A commencer par un humour inégal, certaines blagues ajoutées s’avérant d’une qualité discutable, et d’autres non ajoutées ne passant décidément pas bien à l’écran, sans compter qu’une mauvaise gestion du son fait passer certaines répliques (heureusement peu) à la trappe. Quant au scénario écrit par Martin-Laval et Matthias Gavarry, si on peut lui accorder l’intelligence d’avoir su donner une véritable cohérence à un enchaînement de gags qui ne serait pas bien passé tel quel à l’écran par l'emploi d'un quiproquo parfaitement exploité, il n’arrive toutefois pas tout-à-fait à camoufler le caractère extrêmement composite du film.
Reste que, malgré ses quelques évidents défauts, qui culminent dans une pénible séquence chantée et dansée en guise de générique de fin, le "Gaston Lagaffe" de Pierre-François Martin-Laval n’a pas à rougir de ce qu’il a à nous proposer, pas plus qu’il n’a à rougir des mauvaises critiques provenant pour la plupart de gens qui savaient dès avant le film ce qu’ils voulaient en penser. Pour ceux qui n’appartiennent pas à cette détestable catégorie de personnes, "Gaston Lagaffe" fera donc sans doute passer un bon moment. Quant à Pef, il peut dormir sur ses deux oreilles : il a fait son maximum pour nous proposer un résultat décent issu à partir d’un pari on ne peut plus fou. Et il a réussi.