Même visionnée dans le désordre, la filmographie de Mamoru Hosoda garde une constante régressive jouant aussi bien avec les émotions de l'enfant tapis en chacun de nous qu'avec les questionnements de l'adulte-vitrine qui l'a supplanté. Mais contrairement à Amé et Yuki, ses enfants loups ou à Kun, le grand frère de Miraï, dans Le garçon est la bête, il partage son propos entre l'adulte en devenir - le garçon - et l'adulte qui n'est pas devenu - la bête.
Encore une fois, l'imaginaire se met au service d'une introspection, cette fois-ci sur les trajectoires que nous prenons enfant et sur la façon dans elles sont influencées par les adultes qui nous entourent, nous guident, nous émancipent ou nous brident.
Le gosse ici s'appelle Ren/Kyuta. Un enfant des rues, autant par choix que par dépit, par fierté que par résignation. Abandonné, il préfère embrasser pleinement sa condition plutôt que de subir une famille de substitution qui ne lui convient pas. Solitaire et affirmé, fort en apparence mais blessé en son être à l'image de cette part d'ombre, dissociée dans une rue bondée, sortie de nulle part, annonciatrice de la part de ténèbres que redoutent les habitants du Jūtengai, le royaume des bêtes, et auquel il sera confronté.
La bête, Kumatetsu, fainéant et bagarreur, à la recherche d'un disciple, va voir en lui ce qu'il n'avait jamais trouvé. Quoi ? Difficile de ne pas s'en douter dès que la relation tumultueuse et criarde entre ce maître improvisé et son frêle disciple va s'installer.
Le garçon et la bête est une histoire d'aide mutuelle comme le cinéma en compte des dizaines, de celles ou l'élève n'est pas nécessairement celui qu'on croit. Mais la vision d'Hosoda transcende l'apport mutuel à travers un reflet intergénérationnel qui masque sous les cris et les maladresses une inadaptation sociale, catalyseur d'une rancœur destructrice qui finira par s'exprimer visuellement de bien des manières.
Qu'il s'agisse de nos héros, sympathiques perdants handicapés par leurs béquilles émotionnelles mais revendiquant leur singularité, où de leurs rivaux, Iôzen, un père, perfection incarnée, calme et réfléchi, accompagné de ses deux fils et idolâtré des habitants de ce monde parallèle, l'évolution des personnages, bien que téléphonée, est au centre d'une histoire de succession qui dans sa première moitié, enfermé dans le royaume des bêtes, nous amuse autant qu'elle pose adroitement les bases d'une évolution bien plus sombre.
Car Kyuta grandit, lesté de son enfance et même si sa rencontre avec Kumatetsu est salvatrice, elle n'allège pas complètement le poids de son passé. S'engage alors un ballet fait d'allers-retours entre les deux univers. Mamoru Hosoda s'attarde adroitement sur ce que nous devenons, et comment nous le devenons jusqu'à une acceptation complète de notre histoire intime. Il fait écho aux adultes que nous sommes et à l'enfant parfois partiellement meurtri que nous abritons, en nous montrant dans un déluge d'effets visuels, à quel point il est parfois difficile de venir à bout de notre baleine blanche, sans aide extérieure.
Le garçon et la bête est une histoire d'accomplissement tardif, de but, de sens, de lègue, de génération, de continuité, une histoire de vilain petit canard qui touche justement son spectateur, sans esbroufe, sans mièvrerie, une histoire qui émerveille par son univers, avec des thèmes déjà vus et chers à l'animation japonaise, mais qui trouve une sensibilité rare sous la plume de ce réalisateur couronnés pour ces 5 films personnels (La Traversée du temps - 2006, Summer Wars - 2009, Les Enfants loups - 2012, Le Garçon et la Bête - 2015, et Miraï - 2018) du Japan Academy Prize du meilleur film d'animation de l'année.
Un film tous les trois ans depuis 2006, vivement 2021 !