Plus réjouissant que ce film tiendrait de la gageure. Non seulement « Le garçon et la bête » vient combler le vide tant annoncé de l’après Miyazaki au niveau de l’animation japonaise, mais en plus il révèle un auteur qui, par l’originalité de son propos et la dynamique qu’il apporte, se démarque. Il porte avec ce film toutes les promesses de la relève du genre.
A commencer par l’univers graphique et ce partage entre deux mondes, celui extérieur qui représente notre quotidien d’humains, grouillant, bruyant impersonnel et presque hostile, et l’autre, intérieur, dominé par le règne animal plus verdoyant, serein quoique tout aussi intense en matière de contraste des sentiments. Visuellement, bien qu’imperceptible, la transition est saisissante, elle est le fruit de la perception de Kyuta sur son environnement, les humains (excepté les parents) n’ont dans un premier temps pas de visage, la noirceur ambiante jusqu’à l’étouffement n’étant que reflet de sa propre douleur. A l’inverse, chez les « bêtes » tout semble rationnel, rien n’est inquiétant. Le bestiaire y est formidable, chaque animal bien ciblé selon le comportement symbolique que lui prête la tradition, voire les croyances (selon l’astrologie chinoise par exemple le singe est malin, agité et peu doué pour le contact humain, à l’inverse le cochon est diplomate et délicat, et le lapin charmeur, patient mais fuyant…). L’évolution physique de Kyuta de l’enfance à l’adolescence est également finement traitée, du gamin un peu gauche et irascible, il se transforme en un jeune homme déterminé et élancé, prompt à affronter ses propres démons. A cela s’ajoute, des décors assez surprenants et très réels (le labyrinthe, la ville, les temples…) auxquels viennent s’ajouter des éléments fantastiques impressionnants (la baleine notamment).
Mais le film ne se résume pas seulement à un contenant, ici, c’est bien le contenu qui est le plus extraordinaire. « Le garçon et la bête » fulmine de belles valeurs. A commencer par un humour décapant et parfois trivial (la manière dont s’apprivoisent Kumatetsu et Kyuta) à la limite du burlesque, qui se place toujours entre deux scènes plus profondes. La parcours initiatique de Kyuta dénote par son décalage atypique, il n’est en rien l’élève modèle, pas forcément doué au départ, ni franchement agréable. Son évolution sera difficile, tant par son entêtement que sa vie intérieur troublée. Il n’est pas invincible, il est humain, avec ses failles. Cette approche est payante et rend ce personnage plus noble. C’est cette même ambigüité qui traverse d’ailleurs tout le film. Rien ne s’y passe comme cela le devrait. Les humains sont des monstres, fragilisés par leur orgueil et leurs peurs, les animaux eux sont doués de raison et connaissent encore les fondements de la vie. Pas étonnant que Kyuta trouve refuge chez eux pour se reconstruire, le même choix qu’avait fait Ofélia dans « Le labyrinthe de Pan ». Mais la vision d’Hasada est moins sombre, il balaye ainsi, de manière très ludique, les grandes questions existentielles telle le sens de l’engagement (ne jamais renier ceux qui ont été présents), l’amour (basé sur l’esprit, la complicité et la complémentarité), l’humilité (rien ne dure), la tolérance (s’accepter pour accepter les autres).
De cette parabole épique et jouissive de la vie, « Le garçon et la bête » s’impose comme l’un des très grands films d’animations de la décennie, Miyazaki en retraite, Mamoru Hosada, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, pourrait s’imposer comme le nouveau maître des lieux. Un maître, qui par sa manière d’appréhender un film, au plus proche de la réalité, tout en sensibilité mais lucide sur le monde qui l’entoure, possédant un vrai sens de l’action et d’humanité, pourrait faire des émules et renouveler un genre un peu en berne depuis quelques temps.