Eisenstein est une légende, un cinéaste qui a changé le cinéma, qui a révolutionné l'art du montage. Ses films, qui peuvent être considérés comme des œuvres de propagande au début de sa carrière ("Octobre", "la ligne générale",…) ont progressivement basculé et son "Ivan le terrible" a été censuré parce que perçu comme une critique de Staline (à juste titre).
Au milieu de tout cela, il y a le voyage du cinéaste en Amérique, et les zones d'ombre autour de son projet "Que Viva Mexico", documentaire ou fiction, inachevé, non monté alors que soixante-dix heures de rushes ont été tournées…
Greenaway n'est pas une légende mais il a pour lui une grande connaissance de l'œuvre d'Eisenstein. Son film était donc très attendu, suscitant beaucoup d'espérances.
Le résultat peut être comparé au "Saint Laurent" de Bonello : une vision très personnelle d'une icône, un anti-biopic, mais assez pénible à visionner, comme si Greenaway ne s'intéressait pas à son sujet et voulait imposer sa vision des choses, autant historique qu'artistique.
Du tournage au Mexique, on ne voit rien. Absolument rien. Quelques bribes de ce qui s'y passe sont racontées par les personnages, sans que cela soit très clair… Mais ce n'est visiblement pas cela que Greenaway veut montrer. Eisenstein cinéaste ? Greenaway s'en moque (tout au moins dans ce film). Eisenstein homosexuel ? Ah, voilà ce qui passionne le réalisateur britannique. On a donc le droit (et pour certains, le supplice) de voir des scènes de cul (pas d'autre terme, désolé…) très explicites et plutôt provocatrices. Vous vouliez voir la légende Eisenstein ? semble nous dire Greenaway, eh bien voyez plutôt ses fesses. L'acteur qui se prête à cette exhibition n'a pas froid aux yeux (pas qu'aux yeux, d'ailleurs), il est totalement investi mais il compose un personnage des plus fatigants, surexcité, surexpressif, explosif, éructant, pleurant, gémissant, se vautrant dans une folie qui ne semble pas crédible. Autour de lui, Greenaway fait bouger sa caméra dans tous les sens, avec des mouvements certes très fluides et assez élégants, mais tellement travaillés qu'on finit par ne voir plus que ça, et ça fait un beau travelling, et ça monte, et ça redescend, et ça tourne, ça tourne, ça tourne… dis, tu pourrais changer de sens ? ça rend malade, ce film…
Au bout du compte, l'ensemble se voit plus comme une épreuve qu'autre chose. Et pour en rajouter dans l'aspect délire personnel de cinéaste qui se fait plaisir mais se moque du public, tout le monde parle anglais, avec des accents bizarres… Il faut dire que l'acteur qui joue le cinéaste russe est finlandais. L'amant mexicain parle lui aussi anglais, même avec les autres Mexicains. Et quand Eisenstein parle au téléphone avec sa secrétaire restée à Moscou, c'est aussi en anglais. Va comprendre, Sergueï…