Le parcours de Kiyoshi Kurosawa est pour le moins atypique, puisque de réalisateur de films d’horreur de qualité variable il est devenu l’une des figures de proue du cinéma japonais, avec Hirokazu Kore Eda ou encore Naomi Wakase grâce à des films comme Tokyo Sonata ou la série Shokuzai (adaptée en deux films chez nous). Récompensé à Cannes, après un Real un peu plus en retrait, Vers l’autre rive confirme le grand talent d’un cinéaste qui a su rester fidèle à ses racines.
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Dans les précédents films de Kurosawa, les morts hantaient les vivants - au sens figuré -, comme dans Shokuzai où 4 jeunes femmes n’arrivent pas vraiment à surmonter le meurtre de leur amie durant leur enfance. Cette fois-ci, les morts hantent littéralement le monde des vivants. Pour les spectateurs français, le parallèle avec Les Revenants est facile à faire.
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Kurosawa est resté fidèle à la structure épisodique qu’on retrouve dans Shokuzai par exemple : Mizuki et son mari revenant parcourent le pays ensemble afin de tenter de se retrouver par-delà la mort et pour tenter de combler les 3 années de séparation. Durant ce voyage, ils rencontrent de nombreuses personnes, certaines vivantes, d’autres « revenantes » comme Yusūke. Ces rencontres, toutes différentes, sont aussi l’occasion d’aborder de nombreux thèmes différents : chacun est pour une raison ou pour une autre marqué par la mort, et tous ne sont pas capables de couper définitivement le lien avec ceux qui sont partis – le témoignage d’une femme ayant perdu sa petite sœur très jeune est particulièrement émouvant. Mais symétriquement, certains morts n’ont pas su couper les ponts avec la vie, comme ce vieux livreur de journaux
regrettant sans cesse d’avoir frappé sa femme
, désormais partie. Et c’est cette symétrie des situations qui pousse Kiyoshi Kurosawa à mettre les morts et les vivants sur le même plan, et à interroger leur différence. Un film riche sur le plan thématique donc, et qui dans la lignée des meilleurs films japonais de ces dernières années (Tel Père, tel Fils pour ne citer que lui), sait à la fois parler de problèmes universels et de la société japonaise, signe encourageant d’une ouverture du cinéma japonais sur le monde.
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Il faut aussi signaler que Kurosawa confirme encore qu’il possède une incroyable maîtrise des plans d’intérieur et des jeux d’éclairage, subtilement utilisé pour traduire les états d’esprit des personnages. Le cadrage est également très travaillé et les scènes savamment composées, dans la droite lignée de ce que l’on a pu voir avec Shokuzai.
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Enfin last but not least il convient de saluer le jeu d’Eri Fukatsu, qui joue parfaitement une Mizuki traversée par des sentiments contradictoires : espoir, angoisse, amour et abattement. Elle confirme que les films de Kurosawa sont souvent l’occasion pour ces actrices de rayonner (Kyoko Koizumi dans Tokyo Sonata et Shokuzai).
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Un film profond, complexe, et l’occasion rêvée de découvrir l’œuvre d’un réalisateur à part de la planète cinéma.